« Dans la nuit, la liberté nous écoute »

En 2008, sortait aux Indes Savantes, « De l’Indochine coloniale au Vietnam libre. Je ne regrette rien », d’Albert Clavier, ou le parcours atypique d’un homme, décédé en mars 2011. C’est ce parcours hors normes que Maximilien Le Roy a choisi de suivre dans sa bande dessinée, en rencontrant l’auteur, tout d’abord, puis en faisant des repérages au Vietnam, début 2010…

Tout commence en 1943, à Grenoble. Albert a 16 ans et, affligé par l’idéologie nazie, s’enthousiasme pour les idéaux communistes. En 1947, il s’engage dans l’armée, direction l’Indochine, via Djibouti. Le but ? Combattre les terroristes vietminhs. Sur place, il ne tarde guère à s’intéresser aux habitants, faisant fi des consignes de l’État-Major. Au fil de ses conversations, il est de plus en plus séduit par le mode de vie et prend des risques énormes, d’autant qu’en plus, il ne fait pas bon avouer qu’on est communiste dans l’armée. Les exactions et les tortures qu’il voit commettre par ses camarades au nom de la liberté, l’écœurant au plus haut point, l’amènent, peu à peu, à prendre parti ! Dès lors, Albert joue double jeu, dangereusement. Au Tonkin, il décide de quitter l’armée française et de passer « Ã  l’ennemi », ne pouvant se résoudre plus longtemps à participer à l’entreprise coloniale contre un peuple qui lutte pour sa liberté. Il se rend compte que ce conflit-là, contrairement à la lutte contre Hitler, n’est pas le sien.En décembre 1949, il rejoint les rangs de l’armée populaire : « Je ne trahis pas mon pays, ma patrie. Je l’aime et je suis fidèle à ses idéaux, liberté, égalité, fraternité, en soutenant la lutte de libération d’un peuple. » Il fait, dès lors, partie des « ralliés », ces déserteurs plus ou moins politisés, qui dans les rangs du viêt-minh vont continuer un autre guerre, à laquelle ils croient davantage. Refusant à participer aux combats il participera activement à la propagande en direction des soldats du corps expéditionnaire, notamment en étant l’un des voix françaises de la radio. En 54, il assiste aux accords de Genève coupant le Vietnam en deux et participera à la reconstruction du pays, y fondant même une famille avant de quitter en 1963, définitivement – il supportera difficilement la maoïsation du Parti vietnamien – cette terre du Vietnam qu’il a adorée.

Maximilien Le Roy signe, là, 186 pages bicolores lentes, sensibles et charmeuses, dans le sens où il sait nous attacher autant aux individus qu’aux décors et qu’on fait comme lui, on prend notre temps. Entre journalisme et revendications politiques, Le Roy se positionne clairement, adhérant au plus près des sujets qu’il traite comme c’était déjà le cas dans « Les Chemins de traverse » (cf. notice L@BD), « Hosni, SDF + » (cf. notice L@BD), « Faire le Mur » (cf. notice L@BD).

Cette histoire, si humaine, si simple finalement, dans une époque si troublée, la guerre d’Indochine, est celle d’un homme fidèle à ses idéaux et donc d’un homme courageux, ce que l’interview finale entre Le Roy et Alain Ruscio permet de mieux appréhender encore, les deux interlocuteurs s’attachant à élargir le problème indochinois au colonialisme tout entier.

Alors, bon voyage… historique, dans la mémoire des hommes !

Didier QUELLA-GUYOT (L@BD et blog)

 » Dans la nuit, la liberté nous écoute  » par Maximilien Le Roy
Éditions Le Lombard (24, 95 €)

NB : Sur les ralliés, n’oublions pas le premier album de BD à évoquer le sujet : « Les Oubliés d’Annam » de Lax et Giroud (Aire Libre. Intégrale reprenant les deux tomes parus en 1990 et 1991). Frank Giroud y signe une préface : « Quand la réalité dépasse la fiction » où il évoque la guerre d’Indochine, la colonisation, le rôle des militaires et le cas de ces « ralliés » qui avaient choisi le Viêtminh.

Voir aussi « Vietnamerica » présenté cette semaine sur L@BD : le travail de mémoire d’un auteur d’origine vietnamienne en date du 21 septembre.

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