Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...FIGURATION NARRATIVE
Depuis le 14 avril 2008 se tient une exposition au Grand palais intitulée Figuration Narrative. On découvre dans la presse de nombreux articles sur cette manifestation où il est rappelé les différentes expositions consacrées à la Figuration narrative, depuis 196O.
Mais on notera que l’exposition Bande dessinée et Figuration narrative présentée au musée des arts décoratifs en 1967 réalisée par Pierre Couperie, moi-même et Gerald Gassiot Talabot est oubliée. Pourtant comme on le découvrira dans cet article publié dans L’œil en avril 1967,
Gerald Gassiot-Talabot reconnaissait que la BD avait eu une réelle influence sur le Pop Art et la Figuration narrative.
Dans l’importante section de l’exposition consacrée aux influences de la bande dessinée sur l’art actuel on découvrait que de nombreux artistes avaient recours non seulement aux nombreux procédés techniques employés par les dessinateurs de bandes dessinées mais également aux « plans > des bandes dessinées elles-mêmes grossies des dizaines de fois et incorporés sur la toile avec d’autres éléments. Il s’agissait pour eux de rendre sensible la multiplicité des impressions dont l’homme qui vit dans les villes est aujourd’hui bombardé. L’une des peintures exposées, « F 111 » de l’Américain James Rosenquist n’avait pas moins de 28 mètres de long. Disposée tout autour d’une salle elle enveloppait littéralement le spectateur, créant un assez extraordinaire climat obsessionnel
Bandes a part
L’exposition conjointe, consacrée par le Musée des arts décoratifs à la Bande dessinés et à la Figuration narrative, peut au premier regard décontenancer, car c’est la premjère fois qu’un groupe, de peintrès, parmi lesquels des artistes internationalement connus, comme Rosenquist, Fahlstrôm, Monory, Lichtenstein, Rancillac et quelques autres exposent leurs œuvres à côté de celles des « cartoonists », dont les travaux sont trop souvent considérés comme les manifestations d’un art mineur.
En réalité, cette conjonction, qui illustre une sympathie et un respect mutuels, repose sur des phénomènes fondamentalement différents. La bande dessinée a trouvé ces dernières années des exégètes et des spécialistes. Elle est une forme d’expression radicalement liée à notre siècle dans ses modalités. Elle ne peut être jugée que par rapport à elle-même et non en une comparaison toujours trompeuse avec la peinture.
La figuration narrative, elle, n’est ni une nouvelle école fondée sur une base philosophique ou politique, ni une nouvelle tendance rivée à un genre plastique précis, mais simplement un mode d’expression impliquant à la fois une référence à la dimension temporelle, dans l’élaboration de la toile, et une évolution du processus de lecture de cette même toile par celui qui
La grande exposition organisée en octobre 1965, par les galeries Creuze et Europe, avait mis au jour les différentes catégories narratives par lesquelles les peintres cherchent à s’exprimer ; elle établissait ce que l’on pourrait appeler le « constat sociologique » de ces préoccupations, qui sont, nous le verrons plus loin, fort anciennes, mais dont le renouveau (dans une période picturale qui semblait vouée à la célébration de l’espace pur) a pris quelquefois le tour d’une véritable provocation.
A la différence de chapelles telles que celle du Mec’Art, qui décernent des brevets de génie aux peintres qui consentent à se soumettre à leurs règles (références à des moyens mécaniques et abandon du processus pictural), la figuration narrative n’est pas un dogme pour jeunes peintres arrivistes. Elle concerne des artistes qui appartiennent à des tendances plastiques très différentes : Arroyo est réaliste, Bertini utilise des procédés mécaniques (toile sensibilisée), Rancillac et Télémaque peignent à l’épiscope a partir de documents, Monory est un onirique qui construit un monde étrange et personnel sur les données du réel, Foldès est très classique dans son dessin, ainsi que Voss, tandis qu’Adami, Recalcati, Romagnonl, Lemaître découpent l’espace ou structurent l’image selon des procédés plus ou moins complexes.
Le peu de peintres exposés au Musée des arts décoratifs ? qui abrite pour la première fois l’immense composition de
Le peintre narratif, sauf exception (Foldès, Lemaître), ne raconte donc pas une histoire mais décrypte le monde où il vit selon un langage personnel (sans quoi la valeur de son œuvre est nulle), mais en se référant au processus de la durée, du changement, du mouvement.
Des richesses saccagées par le bulldozer du sociologue
Mais venons-en aux origines : les historiens de la bande dessinée et de la figuration narrative font remonter les origines de la préoccupation narrative à la plus lointaine antiquité: aux pictogrammes du Tassili, aux fresques pharaoniques, au style continu de
Mais ces efforts restaient décousus et sans suite. Ce ne fut qu’au XIX* siècle que les histoires racontées en images connurent leur véritable essor, avec la publication des images d’Epinal, des Biiderbogen en Allemagne, suivis un peu plus tard des albums illustrés, domaine où devaient spécialement briller le Suisse Tôpfer, l’Allemand Busch et le Français Christophe. Les éléments essentiels de la bande dessinée ? la narration en séquences d’images, la continuité des personnages d’une séquence à l’autre, le dialogue inclus dans l’image ? s’y trouvaient déjà tous réunis, et leur fusion devenait inévitable à plus ou moins longue échéance.
La première bande dessinée fut les Katzenjammer Kids, de Rudolf Dirks, apparue pour la première fois en 1897. Depuis, la bande dessinée (ou comics, comme on les appela très tôt aux Etats-Unis) se mit à foisonner dans toutes les directions. Elle comporte tous les niveaux de qualité, de l’exécrable au chef-d’œuvre. Au lieu d’exploiter uniquement l’héritage stéréotypé du conte de fées, du dessin humoristique et du roman d’aventures pour jeunes, elle recueille, transpose, ranime une infinie variété d’influences, de traditions centenaires et de modes passagères, créant le plus vaste champ iconographique jamais produit par une civilisation : influences de Mark Twain et de Michel-Ange, de Kipling et du cubisme, du cinéma et du roman arthurien, de l’actualité scientifique et d’un merveilleux millénaire, création de conventions originales ? de nouvelles techniques de récit et de narration ? tout un enchevêtrement de richesses dédaignées par l’historien et saccagées par le bulldozer du sociologue.
Comme l’a si bien déclaré Maurice Horn dans un article récemment paru dans un magazine américain :
« La bande dessinée n’est pas une simple juxtaposition de textes et d’illustrations, mais la synthèse de la narration et de l’image, et constitue de ce fait uns forme d’expression Indépendante. Il serait donc vain de juger la bande dessinée selon les critères de l’art ou de la littérature, mais il faut en faire l’analyse selon des normes qui lui sont propres et qui jusqu’ici n’avaient pas encore été définies. »
C’est dans le dessein d’établir cette méthodologie de la bande dessinée que la SOCERLID a été chargée d’organiser dans le cadre du Musée des arts décoratifs une exposition traitant de l’art narratif figuré.
Après un rapide panorama de ses antécédents, la première salle présente les éléments du vocabulaire et des conventions propres à cet art : le cadre et ses formes variées, le ballon et ses signes conventionnels. La deuxième salle met en relief la structure narrative de l’image considérée en elle-même. Car l’image n’a pas de rôle direct dans la bande dessinée et elle n’est vue ici que sur le plan de la signification dramatique. L’image ne prend sa valeur et son sens que par rapport à celles qui la précèdent et la suivent.
Les troisième et quatrième salles montrent comment ces moyens sont employés en diverses combinaisons dans la technique narrative. Née en même temps que le cinéma, la bande dessinée est, elle aussi, un des plus importants moyens d’expression contemporains : si elle présente avec lui certaines parentés de techniques, elle dispose de ressources propres très variées qui n’on’ jamais été analysées pour le publie : utilisation d’un écran de dimensions variables, profondeur de champ, moyens matériels et truquages sans autre limite que l’habileté du dessinateur, un découpage beaucoup plus rapide que celui du cinéma et, inversement, l’utilisation possible de ia très longue durée ? des années ? poursuite du dialogue alors qu’on ne voit plus les personnages, perdus dans un Immense paysage, par exemple, mais localisés par l’origine des « ballons », procédé impossible en cinéma muet et d’un emploi délicat dans le cinéma parlant.
Hier encore dénigrées et attaquées de toutes parts, les bandes dessinées suscitent aujourd’hui un engouement et un intérêt extraordinaires. Les psychologues les analysent, les sociologues les dissèquent, les peintres essaient d’en capter l’essence et les utilisent comme un matériau de base particulièrement riche.
Gerald Gassiot-Talabot et Claude Moliterni Avril 1967