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« Histoires de l’Ouest » T2 : Serpieri avant « Druuna » !

05/04/2025
Par Gilles Ratier

Pour de nombreux lecteurs français, Paolo Eleuteri Serpieri est le créateur de la pulpeuse Druuna : l’une des plus célèbres « filles de papier » de la bande dessinée pour adultes. Bien avant, pour les lecteurs transalpins, Serpieri était déjà un immense dessinateur, spécialisé dans l’histoire de l’Ouestaméricain. Si une bonne partie d’entre eux avaient notamment été déjà traduits en langue française aux éditions Mosquito,pratiquement tous ces récits sont aujourd’hui réunis dans deux beaux et gros albums édités en France par Glénat, en collaboration avec la structure italienne Lo Scarabeo.

À la fois westerns et passionnants documentaires sur l’histoire du Far West, les deux volumes rééditant les récits de Paolo Eleuteri Serpieri dans ce registre, publiés à l’origine en Italie par les éditions Eura, sont de pures merveilles pour qui apprécie la BD classique. Au fil des 352 pages, ce sont 17 histoires — dont deux en couleurs — qui nous sont proposées dans ce nouvel opus, reproduites à partir des originaux du dessinateur. Grandes figures de l’Ouest américain et événements fameux retracent l’épopée du Far West :de Custer aux mormons, en passant par Sitting Bull, Tecumseh, les bisons ou encore la ruée vers l’or. Les paysages grandioses du Texas, du Kansas, de la Californie, de l’Utah, de l’Arizona, de l’Indiana, du Dakota… servent de cadre à des histoires profondément humaines. La difficile cohabitation entre Sioux, Comanches, Pawnees, Cheyennes… et l’homme blanc est exposée avec un grand souci d’impartialité, alors que les tribus sont contraintes par les nouveaux venus de vivre dans des réserves loin de leurs grands espaces naturels. Une solide documentation permet au dessinateur de représenter avec précision les diverses nations indiennes, et plus particulièrement les costumes et les coiffures qu’il prend plaisir à dessiner. De copieux textes off décrivent le rude quotidien des personnages sans nuire à l’intrigue, bien au contraire. Ces récits, dont les scénarios sont signés par le dessinateur, mais aussi par Raffaele Ambrosio, ont été publiés de 1977 à 1981 dans les revues LancioStory et Skorpio. Ces deux hebdomadaires des éditions Eura proposaient de nombreuses bandes dessinées d’auteurs argentins.

Serpieri y signe des pages lumineuses, sombres et hachurées, bien que cet éditeur — enrichi par la publication de romans-photos — privilégiait les travaux plus simplistes. Alors nouveau venu, sur le tard, dans le monde desfumetti, Serpieri — inspiré par José Luis Salinas, Carlos Roume, Alberto Breccia, Arturo del Castillo — fait preuve d’une étonnante maturité, se hissant très vite au rang des meilleurs. Encouragé par l’accueil des lecteurs, ce perfectionniste, passionné par les travaux de Frederic Remington, N. C. Wyeth ou Charles Russell, s’impose rapidement comme un des auteurs incontournables de ces deux journaux.

Ces deux ouvrages à l’impression soignée reprennent la quasi-totalité des histoires publiées par les magazines Eura, accompagnées de quelques inédits. Une longue préface signée Roberto Guarino et Matteo Pollone évoque Indiens, visages pâles et gens de la Frontière. Les mêmes auteurs présentent en fin de volume un copieux et passionnant entretien avec Paolo Eleuteri Serpieri,richement illustré. Un juste hommage à l’œuvre d’un créateur ayant connu le succès sur le tard avec la création de « Druuna » et dont les précédents travaux ont été trop longtemps oubliés par les éditeurs français (1). La version originale a été publiée en Italie par les éditions Lo Scarabeo de 2020 à 2024, sous la direction de Pietro et Santo Alligo.

Né le 29 février 1944 à Venise, Paolo Eleuteri Serpieri se passionne pour le western — grâce à son père — dès l’âge de 6 ans, après avoir vu au cinéma « La Charge fantastique ». Élève de Renato Guttuso et de Renato Vespignani, il fréquente l’Académie des beaux-arts de Rome. Reconnu par les critiques, il pratique la peinture à partir de 1966. Dès 1967, il enseigne — jusqu’en 1995 — l’art pictural au Lycée artistique de Rome. Il aborde la bande dessinée au milieu des années 1970, réalisant des westerns pour les éditions Eura dans LancioStory et Skorpio.

Contacté en 1980 par les éditions Larousse, Paolo Eleuteri Serpieri collabore aux fascicules de L’Histoire du Far-West, puis aux albums de la collection Découvrir la Bible. Au cours des années 1980, il travaille pour les revues italiennes L’Eternauta et surtout Orient Express où il réalise « L’Indienne blanche » en 1983. C’est en 1985 qu’il crée « Druuna » pour L’Eternauta en Italie et Charlie mensuel en France. Six intégrales éditées par Glénat reprennent l’ensemble des pages de cette saga érotico-fantastique dont les ventes dépassent le million d’exemplaires. En 2007, Paolo Eleuteri Serpieri dessine pour Robert Laffont un seul album des « Enfers » avec Jean Dufaux au scénario (une série reprise en 2012 par Roberto Federici aux éditions Delcourt sous le titre « Saria »). Enfin, il réalise une longue aventure de « Tex Willer » de 224 pages pour la collection Tex Gigante chez Sergio Bonelli Editore.

Henri FILIPPINI