Encore une BD de Zidrou qui mérite largement le détour, d’autant plus qu’elle est fort bien mise en images par le talentueux Paul Salomone… Cette fois-ci, le prolifique scénariste aborde un sujet plutôt tabou : la taille du sexe des hommes et celle des poitrines des femmes ! Pour ce faire, avec sons sens de la dérision habituel, il fait conter une savoureuse romance à l’eau de rose par une mannequin de la vitrine du magasin Divine : boutique parisienne de lingerie fine — « le papier d’emballage de l’amour ! » — offrant le meilleur en matière de dessous affriolants, en cette fin des années 1950… Une époque où les tentatives féminines de libération par rapport à la nudité étaient à peine en train d’éclore !
Lire la suite...« Mary Bell, l’enfance meurtrière » : dans les vertiges du mal et de la rédemption…
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1968, Angleterre. Deux garçons de trois et quatre ans sont assassinés… Stupéfaction : leurs meurtriers sont… de jeunes enfants ! Dont Mary Bell, à peine 11 ans, lourdement condamnée. 30 années plus tard, la journaliste Gitta Sereny la retrouve pour rouvrir l’enquête et tenter d’expliquer les causes : quels furent les terribles mécanismes qui conduisirent à ce passage à l’acte ? À leurs tours, Théa Rojzman et Vanessa Belardo s’emparent de ce sordide fait divers éclairé par le journalisme d’investigation : sans excuser le pire, mais pour illustrer comment comprendre est aussi un moyen d’agir face à la violence…
Deux époques, deux temps, deux personnalités… mais une seule femme : Mary Bell. Voici ce que l’on pourra deviner en regardant le visuel de couverture, dont le sous-titre s’accorde au drame perceptible dans l’arrière-plan : un crime sanglant a eu lieu, dans l’enfance du personnage, mais beaucoup de zones d’ombre restent encore à éclaircir… Mary, devenue adulte, acceptera-t-elle de se replonger dans un récit traumatique, sans fausse résilience ? De fait, ce sont bien trois temporalités qui seront convoquées (le présent de narration, les flashbacks et les évocations fantasmagoriques) dans ce récit de vie glauque doublé de thriller. Un album qui pose d’emblée les questions les plus dérangeantes : comment l’âge de l’innocence et de la naïveté peut-il être celui de la pulsion sanguinaire ? Comment un enfant peut-il, aussi vite, être envahi par le désir de violence ? Que ferions-nous si l’un de ces enfants était une connaissance… ou le nôtre ?
Devenue historienne et journaliste en Grande-Bretagne, l’Autrichienne Gitta Sereny (1921-2012) se fait d’abord connaître en assistant pendant quatre jours au procès de Nuremberg (novembre 1945 à octobre 1946), puis en écrivant un ouvrage sur le cas Albert Speer. Épouse du photographe Don Honeyman (le créateur du fameux poster de Che Guevara sur fond rouge en 1968), Gitta s’intéresse en 1972 à Mary Bell. Elle rédige « The Case of Mary Bell: A Portrait of a Child Who Murdered », pour raconter les meurtres et le procès. En 1998, avec « Cries Unheard: The Story of Mary Bell » (voir en France sous le titre « Une si jolie petite fille : les crimes de Mary Bell », éd. Points-poche, 2016), elle livre une seconde étude de cas : une enquête bien plus approfondie, car basée sur des entrevues avec Bell elle-même et divers membres de sa famille, ainsi que des amis et des psychiatres l’ayant connue pendant et après sa détention. L’ouvrage est vivement critiqué par la presse, dans la mesure où, Mary voulant assurer l’avenir de sa fille, a été payée pour sa participation.
En 1968, quand la police de Newcastle (Nord-Est de l’Angleterre) incrimine Mary Bell et son amie Norma Bell (sans liens familiaux), une jeune fille déficiente mentale (1955-1989), peu sont ceux à questionner leurs responsabilités réelles. Catégorisée comme psychopathe, pour ainsi dire livrée à la vindicte populaire, Mary Bell est condamnée à la prison à perpétuité pour le meurtre de Martin Brown, âgé de quatre ans, et de Brian Howe, trois ans, par étranglement. Le procès est expéditif et personne n’interroge alors les raisons de ces actes monstrueux, qui font scandale dans la Grande-Bretagne de la fin des années 1960…
Passée entre école, institution et prison, naviguant entre célébrité malsaine et quête d’anonymat, remords, cauchemars et mère toxique, Mary est finalement libérée en 1980, accouchant d’une petite fille en 1984. La scénariste Théa Rojzman (voir notre récente chronique de « Les Mémoires de la Shoah ») découvre à son tour les destins croisés de Mary et Gitta en 2018, arrivant à convaincre Olivier Jalabert puis Aurélien Ducoudray (éditeur et directeur de collection chez Glénat) de l’intérêt de cette proposition.
À travers un récit fort en émotions, dessiné par Vanessa Belardo dans un graphisme réaliste, Théa Rojzman plonge entre réminiscences et inconscients, aux portes de l’innommable et de l’indicible. Réveillant le refoulé dans une approche psychanalytique, l’album oscille entre échanges formels et mise en scène des complexités de la vie humaine. Sans voyeurisme, mais sans cacher certaines horreurs : la pédopornographie et les viols dont fut victime Mary, les brimades de toutes natures et le choc de certains témoignages. Le tout dans un seul but : pouvoir entendre et détecter les enfants victimes, pour ne pas que « la violence [soit] à l’origine de la violence », pour éviter des répercussions de générations en générations en matière de fabrication de « monstres » en puissance. Le mal, s’il n’existe pas en soi, est souvent créé par les failles ou caractères dysfonctionnels des sociétés et des êtres. L’album, plus généralement, participe avec une certaine gravité de la force et de l’importance du journalisme d’investigation : où comment la bande dessinée du réel, ici complété par l’expression des ressentis, le surgissement de séquences oniriques, quelques traits d’humour et de la poésie, agit tel le révélateur, toujours d’actualité, d’une société défaillante face aux malheurs de ses enfants. Un cahier rassemblant interviews des autrices et visuels inédits complète utilement l’ouvrage.
Philippe TOMBLAINE
« Mary Bell : l’enfance meurtrière » par Vanessa Belardo et Théa Rojzman
Éditions Glénat (22,50 €) – EAN : 9782344046272
Parution 26 février 2025