« White Only » : jeu, ségrégation et match !

En 1940, à Harlem, Althea Gibson préfère déjà le tennis à l’école… Elle a l’étoffe d’une championne, mais, dans l’Amérique de la ségrégation raciale, les tournois demeurent réservés aux Blancs. Entre victoires et engagement, devenue la première femme noire à se faire reconnaitre dans le milieu du sport, elle ouvrit la voix à d’autres grands joueurs : tels Arthur Ashe (vainqueur de l’US Open en 1968) ou les sœurs Williams. Julien Frey et Sylvain Dorange retracent son admirable parcours, redonnant ses lettres de noblesse à un fameux destin de tenniswoman

En couverture, tout est dit : une jeune Afro-américaine, habillée en tenue de joueuse de tennis, apparait au premier plan. La silhouette, déterminée, semble à la fois inviter le lecteur à échanger quelques balles et défier la totalité de son environnement : « White Only » précise en effet l’anglicisme d’un titre au racisme dérangeant, tandis qu’apparaissent un décor et des protagonistes typiques de l’Amérique des années 1930-1940. Plus particulièrement, les marches conduisant aux petits immeubles locatifs new yorkais de la 143e rue, dans les quartiers miséreux d’Harlem. Famille nombreuse, chômage, déshérence, patriarcat, débrouillardise, chat noir, pigeons, portes, fenêtres, escaliers (d’entrées ou de secours) et rectangle de ciel dégagé : enfermement ou échappatoire… grâce au sport potentiellement émancipateur ?

Une enfant de la balle (planches 1 et 2 - Vents d'Ouest 2025).

Le nom d’Althea Gibson n’est malheureusement pas restée dans l’Histoire. Une ignorance avouée par le scénariste Julien Frey (« Michigan, sur la route d’une War Bride », « L’Œil du STO », « Monsieur Apotheoz » ou « Les Sauvages ») : « J’ai découvert l’histoire d’Althea Gibson il y a cinq ans, en effectuant des recherches pour un autre projet. J’ai toujours aimé le tennis, et pourtant, je n’avais jamais entendu parler d’elle… Je connaissais Arthur Ashe, souvent présenté comme le premier champion de tennis noir. Mais le premier champion noir était de fait une championne. L’Histoire a complètement oublié Althea ! J’ai eu envie de creuser, de comprendre ce qu’il y avait derrière son existence. Elle a toujours refusé de lutter pour les droits civiques, de manifester. Mais elle s’est battue à sa façon contre le ségrégationnisme, sur le terrain. C’était un personnage complexe, peu apprécié des militants. Sa relation avec son père l’était aussi. C’est le fil rouge qui m’a donné envie d’écrire le scénario de « White Only ». »

Althea Gibson en 1956 (photo par Fred Palumbo - NYWTS).

Résumons une vie, sans tout dévoiler du destin de Gibson : née en 1927 en Caroline du Sud, ainée d’une famille de quatre enfants, elle émigre avec les siens à New York après la crise de 1929. Subissant les violences répétées de son père, elle découvre le tennis à travers le paddle-tennis : un sport de balle alors très pratiqué dans la rue. Son talent est remarqué et sa carrière débute en 1949, grâce à la Fédération de tennis des États-Unis (USTA). Elle triomphe pleinement à Wimbledon en 1957… recevant même le trophée des mains de la reine Elisabeth II, ainsi que la médaille de la ville de New York. Elle s’éteint à 73 ans en 2003, dans le New Jersey. Honorée aux USA, elle reste notamment en mémoire des new-yorkais, grâce à l’inauguration d’une statue dédiée en 2017, devant le stade Arthur Ashe, dans le quartier du Queens.

Althea Gibson et la reine Elizabeth II à Wimbledon en 1957.

Dans la rue... (planches 7 et 8 - Vents d'Ouest 2025).

Comme le précise Julien Frey, côté difficultés intrinsèques à cet album, « Sylvain et moi ne voulions pas faire un livre « sur le tennis ». Mais sur une gamine qui veut prouver à son père qu’elle peut réussir. Sur une gamine qui va « changer son sport », faire exploser les règles ségrégationnistes. La difficulté a été de trouver l’équilibre entre les scènes tennistiques et les scènes qui ne le sont pas. Le tennis à sa place, évidemment. Mais les séquences tennistiques servent aussi le propos politique. On a fait attention à toujours raconter quelque chose de plus que le match. Althea est en mode combat. Un combat familial et politique. Nous voulions aussi raconter cette Amérique ségrégationniste. Personnellement, j’ignorais que les grands tournois de tennis étaient à l’époque interdits aux hommes et aux femmes de couleur. »

« J’ai essayé de ne pas tomber dans le piège du biopic… Raconter toute l’histoire d’un individu en enchainant les évènements. Nous avons essayé de trouver « notre » Althea Gibson, notre angle pour la raconter. L’angle familial. Nous aurions pu partir sur autre chose, nous concentrer sur l’amitié entre Althea et Angela Buxton par exemple. Ou faire comme Sylvain a fait pour Gisèle Halimi [« Gisèle Halimi  une jeunesse tunisienne », scénario par Danièle Masse, Delcourt 2022], à savoir nous concentrer sur une période de la vie d’Althea. Il a fallu choisir, renoncer à certaines séquences pour tenir le récit. La difficulté a été, aussi, je crois, de ne pas tomber dans un certain pathos. Et là encore, Althea nous a beaucoup aidé. Elle avait du caractère, du répondant. J’espère que le livre lui ressemble. »

Recherches pour les personnages et la couverture.

Traité dans un style semi-réaliste très séduisant, dynamique et proche de l’animation, non dénué d’émotions ni de surprises, « White Only » représentait également un challenge graphique pour Sylvain Dorange (« Beate et Serge Klarsfeld », « Métal », « Le Père-Lachaise » : « La difficulté pour le dessin était, comme à chaque biopic, de trouver la bonne iconographie de l’époque, les bâtiments (stades, terrains, écoles), les tenues de tennis utilisées par les joueuses et en particulier par Althea. Voici, par exemple, une question qui m’a posé souci : en quelle année a-t-on mis des chaises afin que les joueuses s’assoient entre les jeux ? D’un tournoi à l’autre, les nouveautés n’étaient pas simultanées ; j’ai essayé d’être au plus juste en fonction des tournois, mais nous ne sommes jamais à l’abri d’une coquille… Et je suis persuadé de recevoir un mail bientôt d’un lecteur perfectionniste ! »

« C’est vrai qu’il y a beaucoup d’ingrédients dans la vie d’Althea qui m’ont passionné. Le Harlem des années 1930, le contraste avec la bourgeoisie afro-américaine. Le combat contre une Amérique raciste, et masculiniste qui, je crains, est en train de refaire surface. Et la passion, qui malgré tous les obstacles, font qu’une personne peut arriver à son objectif ! J’adresse encore un grand merci à Julien, pour m’avoir envoyé ce scénario, qui m’a bouleversé et m’a fait connaitre cette grande personne prénommée Althea… Althea Gibson. »

(Planche 11 - Vents d'Ouest 2025).

Philippe TOMBLAINE

« White Only » par Sylvain Dorange et Julien Frey

Éditions Vents d’Ouest (23 €) – EAN : 9782749309927

Parution 19 février 2025

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