« L’Enfantôme » ou comment survivre aux affres de l’adolescence…

Après « Lettres perdues » et « Mon ami Pierrot », Jim Bishop clôt sa trilogie sur le passage à l’âge adulte avec le surprenant et angoissant « L’Enfantôme ». Il mêle habilement, à des tranches de vie adolescentes, des passages fantastiques qui virent progressivement à des séquences horrifiques. Un album sensible qui prend aux tripes et qui ne s’oublie pas de sitôt.

Ce n’est pas pour rien que l’adolescence est appelé l’âge ingrat. Le narrateur collégien en fait la douloureuse expérience. Ses jambes s’allongent inconsidérément, sa voix mue lentement et, surtout, son acné lui mange maintenant tout le visage. Il hérite pour cela du surnom peu flatteur de Boutonneux. Ses malheurs ne s’arrêtent pas là. Son meilleur ami se détourne de lui, il est isolé au sein de son établissement scolaire, et subit même un harcèlement en règle. Dans l’appartement familial, il n’est pas mieux loti : le couple recomposé qui s’occupe de lui est dysfonctionnel et dispose de peu de revenus. Son beau-père le maltraite même, à l’occasion, et sa mère ne s’intéresse qu’à ses résultats scolaire pour le moins médiocres.

Le jeune garçon a un rêve : devenir gérant d’une boutique de jeux vidéo. Il est convoqué par le conseiller d’orientation qui se moque ouvertement de lui pour ce projet professionnel qu’il juge farfelu.

Dans le bureau de ce monstrueux fonctionnaire, il y a aussi Dadou, l’ancien ami du Boutonneux et Mims : une jeune fille rebelle, au style résolument punk. M. Marano leur propose un programme de motivation scolaire, s’il ne la valide pas, ils redoubleront. Dadou est désespéré : pour lui, c’est sûr, ses parents vont le tuer.

Excellente idée pour le conseiller d’orientation peu psychologue : si les trois élèves ne remplissent pas les conditions du contrat de réussite, leurs parents les tueront !

« L’Enfantôme » page 5.

Les trois adolescents sont dubitatifs : cette menace ne peut être mise à exécution. Et pourtant, peu à peu, leurs parents subissent une étrange mutation ; ils deviennent colériques, violents et menacent physiquement leurs progénitures. Ils prennent parfois une apparence monstrueuse : ce qui précipitent le rapprochement entre Mims et son camarade d’infortune. Ils travaillent ensemble et, surtout, se découvrent des passions communes autour du manga et du dessin. La fin de l’année approche, est-ce que la terrible menace qui pèse sur eux va être mise à exécution ?

Julien Bicheux dit Jim Bishop est un auteur qui crée avec un trait maîtrisé des ambiances prenantes dans chacun de ses albums. Après deux bandes dessinées qui traitaient, sur le mode du conte, des thématiques lourdes comme le deuil pour « Lettres perdues » ou les relations délétères dans « Mon ami Pierrot », il clôt avec « L’Enfantôme » ce qu’il nomme sa trilogie du passage de l’enfance à l’âge adulte.

Il développe, dans ce récit moderne, une ambiance horrifique anxiogène qui sert son propos. Il dénonce, en effet, la pression scolaire que subisse autant les enfants que les parents, le conformisme demandé et accepté par tous les rouages humains du système, et la perte de confiance en soi que cela engendre chez beaucoup d’enfants.

La mutation des parents...

Le récit est en partie autobiographique, car l’auteur était un adolescent solitaire qui cherchait sa place dans la micro-société qu’est l’école. Il a dessiné sa maison et sa chambre, le salon, ses parents et les scènes de vie à l’identique. Il aborde cette réalité, datée du tournant des années 2000, par le prisme de l’horreur. D’abord modestes, les éléments fantastiques horrifiques envahissent le récit avec la mutation des parents en monstres agressifs et l’omniprésence d’yeux scrutateurs ; puis, après une rupture narrative, dans la seconde partie apparaissent des fantômes qui expliquent le titre de l’album. Pour Jim Bishop, les fantômes représentent le sentiment pour les enfants d’être invisible dans ce monde. Les « Enfantômes » que l’on croise dans cette deuxième partie incarnent une forme de joie infantile que l’on étouffe consciemment une fois devenu adulte. C’est ce que l’on pourrait appeler grain de folie, quand il s’exprime une fois la personne devenue adulte.

« L’Enfantôme » page 34.

Cet album est dérangeant par la justesse de son analyse et de la transcription des sentiments des personnages. L’angoisse monte au fur et à mesure de la lecture d’une bande dessinée au style graphique parfaitement maîtrisé : grande lisibilité de toutes les séquences, choix judicieux de couleurs pop en aplats et influence assumée de mangakas cultes, notamment dans les récits horrifiques, comme Junji Ito, Shuzo Oshimi ou Inio Asano. N’hésitez pas à vous plonger dans cet album saisissant jusqu’à la dernière page.

Laurent LESSOUS (l@bd)

« L’Enfantôme » par Jim Bishop

Éditions Glénat (13,50 €) – EAN : 9782344060018

Parution 15 janvier 2025

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