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Jack Gilet : le bourreau au cœur tendre de David Ratte…

13/01/2025
Par Gilles Ratier

Saviez-vous qu’en 1916, à Unicoi (comté de l’État du Tennessee, aux États-Unis), une éléphante prénommée Mary a été condamnée à mort et pendue à une grue pour avoir écrasé la tête du dresseur qui la battait ? Eh oui, en Amérique, à cette époque-là, on ne rigolait pas avec la loi, même en ce qui concernait les animaux à qui ont accordait, suivant la croyance populaire, une conscience morale. La plupart d’entre eux devant alors être exécutés, il y aurait eu, d’après l’excellent narrateur et dessinateur David Ratte (1), des bourreaux assermentés qui devaient parcourir tout le pays pour appliquer la sentence suprême à ces bestioles assassines, à la suite de décisions issues des procédures fédérales. C’était d’ailleurs le métier du jeune Jack Gilet : un type un peu paumé qui aimait tellement les animaux qu’il ne voulait pas qu’on les abatte comme des bêtes…

Ainsi, autrefois, les tribunaux locaux jugeaient donc, à tour de procès surréalistes, chevaux, mulets, taureaux, ours, cochons ou autres proboscidiens accusés de causer des nuisances, de gâcher des récoltes, ou de provoquer des accidents mortels…

Cela a également été le cas en France, à Fontenay-aux-Roses, où dès 1226 un porc fut brûlé vif pour avoir dévoré un enfant, et en 1386 à Falaise (Normandie) où une truie a été condamnée à mort pour avoir mangé un nourrisson : de cette dernière condamnation, le scénariste Laurent Galandon et le dessinateur Damien Vidal ont, par ailleurs, tiré une BD fort recommandable aux éditions Delcourt, en 2023 : « La Truie, le juge et l’avocat ». (2)

Cela dit, dans « À la poursuite de Jack Gilet », David Ratte, quant à lui, ne nous fait pas du tout un cours d’histoire, car la fin tragique et véridique de l’éléphante Mary n’est que le point de départ d’une fable étonnante qui se transforme en un vengeur road trip aussi captivant qu’amusant et émouvant.

En effet, son placide et effacé héros (« qui fait un sale boulot, mais qui n’est pas pour autant un sale type », dixit l’auteur lui-même) pratique cependant son métier avec empathie, contrairement à son défunt paternel qui, lui, était un « véritable » bourreau pour humains…

Même si le fait de s’être spécialisé dans l’exécution d’animaux suscite alors autant de moqueries que de dédain de la part des « honnêtes gens »…

Or, chargé d’accomplir sa triste besogne sur une chèvre ayant causé le décès du contremaître du plus gros éleveur de porcs de la région, il va provoquer l’ire et le chagrin de la jolie marginale et excessive Winifred : l’inconsolable propriétaire de cette vieille bique, n’hésitant pas à se lancer à sa poursuite pour lui loger une balle dans la tête.

En croquant au plus juste, de son délicat et réaliste trait, les paysages mythiques de l’Ouest que parcourt son exécuteur et en multipliant d’incroyables trognes au sein de ce western moderne, le sensible David Ratte insiste surtout, avec poésie et humour, sur l’absurdité de ces procès et condamnations ; et, en conséquence, sur la violence et l’obscurantisme dont peut être capable la race humaine en général…

Gilles RATIER