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Ils voient du Tintin partout !

16/01/2025
Par Gilles Ratier

La nouvelle année est à peine commencée que les tintinophiles ne savent déjà plus où donner de la tête ! À l’instar de précédentes et récentes périodes, un flot de publications touchant de plus ou moins près l’univers d’Hergé (1) s’amoncelle sur les étals de nos librairies : colorisation de la version d’origine du « Lotus bleu », ouvrage consacré à Tchang Tchong-Jen (l’ami chinois d’Hergé) par le spécialiste Dominique Maricq, suite de la collection Les Coulisses d’une œuvre sous l’égide de l’érudit Philippe Goddin (avec « Tintin en Amérique »),souvenirs de jeunesse de l’écrivain adepte de la ligne claire qu’est François Rivière… De quoi combler les connaissances des plus aguerris de l’œuvre hergéenne et, peut-être, de quoi intéresser de nouveaux publics : même au grand dam de certains gardiens du temple !

La colorisation des versions d’origine des « Tintin » parus d’abord en noir et blanc dans Le Petit Vingtième a toujours été un sujet polémique et ce n’est pas ici que l’on va prendre parti ou argumenter sur les bienfaits ou sur les sacrilèges de cette opération… Profitons simplement de l’annonce de la publication des 124 pages du « Lotus bleu » sous cette forme : la suite directe des « Cigares du pharaon » étant le cinquième titre à « bénéficier » d’une palette de couleurs — donc inédites — qui semble plutôt judicieusement choisie, puisque ses nuances, dixit l’éditeur, « rehaussent particulièrement les scènes de nuit, révélant ainsi l’immensité de l’action et la beauté des vignettes. »

Voilà qui pourrait, en effet, séduire un jeune public n’ayant jamais été tenté par cette histoire pourtant iconique d’Hergé, car sa construction plus romanesque que sur les précédents épisodes lui a permis d’être considérée comme son premier chef-d’œuvre par les plus réputés tintinologues…

Ces derniers passeront peut-être leur chemin, malgré la préface éclairante en 16 pages supplémentaires bien illustrées de l’hergéologue Philippe Goddin, notamment responsable de la nouvelle collection Les Coulisses d’une œuvre, dont le troisième opus (consacré à « Tintin en Amérique ») doit paraître incessamment sous peu…

On retrouvera certainement certains de ses propos dans celui qui sera dédié plus spécifiquement au « Lotus bleu » : pour en savoir sur cette suite de publications, voir Tout savoir — ou presque — sur la création des aventures de Tintin et l’univers d’Hergé avec Les Coulisses d’une œuvre !.

Ceux qui savent déjà tout sur Georges Remi et son célèbre héros à la houppette seront peut-être plus intéressés par la biographie de Tchang Tchong-Jen qui a été concoctée par l’archiviste des Studios Hergé Dominique Maricq, en collaboration avec Tchang Yifei : la fille de ce réputé sculpteur chinois qui rencontra le créateur de Tintin alors qu’il n’était qu’un jeune étudiant à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, en 1934, et qui prêtera main forte à Hergé sur l’élaboration du « Lotus bleu ».

La collaboration avec cet artiste en devenir, à l’époque exilé pour ses études, sera tellement fructueuse (Tchang Tchong-Jen initiant son complice, par exemple, à l’art de la calligraphie chinoise) que cet artiste voyageur inspirera Hergé pour le personnage de Tchang, lequel fera perdre ses derniers préjugés sur les habitants de l’Empire céleste au protagoniste et occupera une place centrale dans cette formidable épopée asiatique ; comme ce sera également le cas bien plus tard dans « Tintin au Tibet ». À travers de nombreux documents et témoignages inédits, l’ouvrage justement nommé « Tchang Tchong-Jen : artiste voyageur » fait le point sur les échanges bénéfiques entre les deux hommes et sur la carrière de cet esthète qui fut donc un sculpteur réputé, mais aussi un aquarelliste et un peintre de talent, ainsi qu’un grand voyageur qui n’aura de cesse de créer des ponts entre l’Orient et l’Occident.

Enfin, Hergé est également évoqué à plusieurs reprises dans les « Confessions d’un amateur de bande dessinée belge » : petit livre où le scénariste, romancier et essayiste François Rivière revient sur ses découvertes enfantines ou d’adolescence de la BD d’outre-Quiévrain et sur ses rencontres avec la plupart des fers de lance de la ligne claire.

Avec, évidemment, les créateurs de Tintin, de Blake et Mortimer ou d’Alix en tête, car Rivière a eu le privilège de s’entretenir longuement, à de nombreuses reprises, avec Hergé, et surtout avec Jacobs (à qui il consacra plusieurs études) et Jacques Martin, avec lequel il réussira à établir une véritable complicité.

Dans cette délicieuse évocation nostalgique — que l’écriture simple, efficace et maîtrisée, du scénariste du « Rendez-vous de Sevenoaks » ou du « Dossier Harding » nous fait partager tout au long de ces 120 pages qu’il a illustrées lui-même avec parcimonie et discrétion —, on retrouve aussi, outre son penchant pour la littérature policière anglophone, bien d’autres de ses plaisirs bédéesques belges conçus par Raymond Macherot, Willy Vandersteen, Maurice Tillieux, Bob De Moor, François Craenhals, Raymond Reding…

Nul doute que bien des lecteurs de sa génération — ou même un peu plus jeunes — s’y reconnaîtront !

Gilles RATIER