Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Spa, ville d’eau royale. Bruxelles, capitale de l’Art nouveau…
Ansor. Hendrikus Ansor, commissaire de son état. Imaginé par le dessinateur Olivier Wozniak et le scénariste Patrick Weber, le fin limier ostendais revient dans une deuxième enquête qui prend corps dans la prestigieuse station thermale de Spa, en Belgique wallonne. Le lieu, le genre, le style, tout concourt à faire des enquêtes d’Ansor un futur classique.
D’emblée, avec ce récit aux planches divisées en quatre bandes, l’amateur de la ligne claire — symbole des Trente Glorieuses —trouve ses marques dans ce deuxième album des aventures du commissaire Ansor. Remarqué dès ses premiers albums chez Magic Strip, le dessin du Lorrain Olivier Wozniak fait mouche, avec son trait vivant — tout en sobriété et en souplesse — et sa générosité. Habillé avec justesse par la mise en couleur de Drac (toute en sourdes harmonies de gris colorés), son graphisme porte parfaitement une narration bavarde et riche en cases, ainsi que le personnage truculent qu’est l’emblématique Ansor. Ici, nulle emphase de caractère cinématographique : le regard est sobre, posé à hauteur d’homme pour l’essentiel.
Quid de ce récit linéaire entrecoupé de quelques flash-backs (Spa en 1902 ou Charleroi en 1878) ? La ville d’eau est en émoi —nous sommes en 1906 — lorsqu’un maître-chanteur envoie des missives à quelques notables, menaçant de révéler d’encombrants secrets. La peur de ce Pierre Le Grand — comme il signe ses lettres — est telle que certains en viennent à emprunter la voie du suicide : tel un ancien directeur du casino, retrouvé pendu au sein de son établissement. Naturellement, soucieuse de maintenir la quiétude de la station, la police spadoise du commissaire Sprimont minimise l’affaire, afin de ne pas effrayer les curistes aisés en villégiature.
Ces prudences sociales, un homme n’en a cure : Hendrikus Ansor, naturellement. Apprécié du roi des Belges, Léopold II, il est convoqué à l’hôtel Belle-Vue, à Bruxelles, par la fille de ce dernier : la princesse Clémentine. Autant dire que le scénariste Patrick Weber, chroniqueur royal outre-Quiévrain, est à son affaire, multipliant les clins d’œil historiques. Là  (place Royale où est sis l’hôtel), Ansor découvre une lettre adressée à la princesse par le maître-chanteur qui, en l’échange de la restitution d’un bijou volé à l’ancien directeur du casino, lui demande une somme raisonnable. Ce bijou, la princesse y tient : c’est elle qui l’avait offert à l’ancien directeur. Dès lors, à la demande de la princesse, le commissaire est diligenté pour mener son enquête à Spa et démasquer le mystérieux Pierre Le Grand…
Pour cela, il use de tous les moyens. Ansor converse, Ansor rumine, Ansor déduit. Et, fin gourmet, il s’adonne à des gueuletons, entre écrevisses, poulardes et jolis bordeaux. Canotier rivé au chef, rassurant embonpoint et mâles bacchantes, Ansor est un lointain cousin du détective belge « aux petites cellules grises » conçu par Agatha Christie : Hercule Poirot. Avec sa personnalité attachante et complexe, il surplombe à merveille ce récit dense et prenant. Souhaitons-nous de nombreuses autres histoires !
Même plaisir de lecture, même fiction historique, même scénariste, même éditeur : voici le sixième tome de la série « Kathleen », pierre angulaire des éditions Anspach.
Solidement dessiné par Baudouin Deville dans un esprit ligne claire, élégamment mis en couleur par Bérengère Marquebreucq, « Maison du Peuple 65 » est une enquête joliment efficace dont les superbes décors rendent hommage au génial Victor Horta et au vieux Bruxelles, tristement détruit par d’avides promoteurs durant les Trente Glorieuses.
Cette Maison du Peuple signée Horta sera-t-elle finalement sauvée, tel est l’enjeu de cet opus. La nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Par bonheur, Deville et Weber la magnifient.
« Spa 1906 » par Olivier Wozniak et Patrick Weber
Éditions Anspach (15,50 €) — ISBN : 978-2-931105-27-6
 « Maison du Peuple 65 » par Baudouin Deville et Patrick Weber
Éditions Anspach (15,50 €) — ISBN : 978-2-931105-32-0
Parution 8 novembre 2024