Yannick Corboz (1), déjà remarqué pour ses « Célestin Gobe-la-Lune » et « L’Assassin qu’elle mérite » avec Wilfrid Lupano, sa version BD des polars à succès de Pierre Lemaître (« Brigade Verhoeven ») avec Pascal Berho ou son diptyque « Les Rivières du passé » avec Stephen Desberg, s’est attaqué à la mise en cases du roman sombre, fantasque, historique et romantique du célèbre avocat Richard Malka : « Le Voleur d’amour », sorte de retranscription du mythe de Dracula et de la jeunesse éternelle, publié chez Grasset en 2021. Le résultat, qui privilégie le narratif sur le plan des textes, est graphiquement lumineux et éblouissant…
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C’est en 1952 que le marsupilami apparait pour le première fois sous la plume d’André Franquin, dans « Spirou et les Héritiers ». Son nom est un amalgame de trois mots : marsupial – pilou-pilou (ou Jeep, un animal qui vient de la quatrième dimension dans les albums de « Popeye ») – ami. Il a vécu depuis de nombreuses aventures que ce soit avec Spirou et Fantasio ou dans sa propre série. Après Zidrou et Franck Pé, ainsi que l’auteur allemand Flix, c’est au tour de Lewis Trondheim et Alexis Nesme de partir à la recherche des aïeuls de l’animal créé par Franquin. Dans « El Diablo », les conquistadors découvrent, à leur dépens, ce remarquable grimpeur dans la forêt de Palombie
L’Amérique découverte par Christophe Colomb en 1492 est devenu, par la suite, un gigantesque continent à conquérir pour les Européens : Espagnols en tête. Beaucoup de conquistadors recherchent l’or de cités perdues dans le jungle amazonienne, dont la plus célèbre est la mystérieuse Eldorado. Le capitaine Santoro fait partie de ces routiers qui, fatigués de porter ses misères hautaines, navigue sur un galion pour conquérir le fabuleux métal.
Peu compétent, l’officier a mal calculé la quantité de nourriture à embarquer à bord. Il réunit donc l’équipage sur le pont pour savoir quel mousse sera mangé. C’est le jeune José qui est, alors, tiré au sort. Néanmoins, il entend se défendre du mieux qu’il peut contre des ordres indignes. Il n’est sauvé d’un triste sort que par l’approche miraculeuse de la terre ferme.
La troupe hétéroclite débarque sur une terre inhospitalière dominée par une forêt équatoriale. Elle s’engage au cœur de ce territoire dangereux à la recherche d’un or qui a justifié beaucoup de sacrifices. Apeuré, le capitaine Santoro tire sur ce qu’il croît être un singe. Rancunier, il envoie José rechercher la dépouille.
Le jeune garçon découvre alors un étrange animal : jaune, à taches noires, avec une très longue queue. Le marsupilami se réveille alors et l’entraine dans sa chute, jusqu’au fleuve. Le duo improvisé est recueilli par les Indiens Chahutas.
Le mousse découvre stupéfait, à son réveil, qu’il est lié à celui que les Amérindiens appellent l’Esprit de la forêt. Ils ressentent désormais les émotions et les souffrances de l’autre. Cette liaison inopinée va être bien utile à José quand il rejoindra l’expédition du capitaine Santoro et de ses soudards, vers une mythique Eldorado…
Quel plaisir de retrouver le duo Lewis Trondheim – Alexis Nesme après leur deux remarquables collaborations : dans un épisode de la saga Donjon avec « Garderie pour petiots » en 2021 et dans « Horrifikland » (une adaptation de l’univers de Disney dans la collection Disney/Glénat aux éditions Glénat en 2019). C’est du désir de continuer cette collaboration qu’est né le projet de narrer une aventure d’un ancêtre du marsupilami de Franquin. Trondheim a voulu créer un récit dynamique, surprenant et amusant, en le centrant sur le parcours de José : un petit mousse en révolte contre l’autorité d’un capitaine incompétent, qui voit son destin lié avec celui d’un animal bizarre, jamais nommé, mais surnommé l’Esprit de la forêt par les Amérindiens et El Diablo par des conquistadors démunis face à sa malice.
En plus des albums déjà cités, nous avions déjà plus qu’apprécié le travail d’Alexis Nesme sur son adaptation des « Enfants du capitaine Grant ». Comme dans ce diptyque, on retrouve dans « El Diablo » son coup de pinceau génial à la gouache, aux crayons et aux couleurs liquides, sans trait de contour à l’encre. Il excelle dans la mise en scène en clair-obscur de séquences aux décors fouillés et précis parfois agrémentées d’ornementations dans le style Art-déco. Il nous offre, dans cet album, une superbe ré-interprétation graphique de l’animal imaginaire le plus célèbre de la bande dessinée franco-belge.
72 ans après sa création, le marsupilami continue de travailler l’imagination des auteurs d’aujourd’hui. Après l’exceptionnel diptyque de Zidrou et Franck Pé (« La Bête »), un sublime roman graphique en 300 pages, une ode à l’enfance, une histoire de solitudes partagées et un beau récit d’amitié entre un enfant sensible et un animal sauvage dont on connait la fidélité et le sens de l’honneur et l’intéressant « Le Marsupilami de Flix : L’animal de Humboldt » du bédéaste allemand Flix, une version germanique amusée et amusante de la vie de l’animal inclassable créé par Franquin dans laquelle il part de l’expédition du célèbre géographe allemand Humboldt au début du XIXe siècle pour terminer son récit dans le Berlin des années 1930, c’est au tour du duo Trondheim-Nesme de redonner vie à cet animal fort et sympathique, pour résumer : fort sympathique.
De quoi captiver un vaste lectorat par une aventure au temps des conquistadors pleine de péripéties, d’humanisme, mais aussi de piranhas et de cités amérindiennes légendaires. De quoi embrasser avec légèreté des thématiques profondes : du respect de la nature aux méfaits de la cupidité des hommes ou du danger de toute religion intolérante au nécessaire dialogue empathique entre des peuples différents.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« El Diablo » par Alexis Nesme et Lewis Trondheim
Éditions Dupuis (17,95 €) – EAN : 978-2-8085-0475-1
Parution 8 novembre 2024
Très joli récit, magnifiquement mis en image. L’idée d’une sorte de « premier » Marsupilami, dans un contexte historique bien précis (les conquistadors et la découverte de l’Amérique), est vraiment intéressant.