Les enfants coréens de l’empire japonais…

L’histoire contemporaine de la Corée est mouvementée. Envahie et colonisée par le Japon voisin dès 1905, la péninsule devient dès lors un protectorat, dans lequel la population locale est soumise au bon vouloir des occupants. C’est dans ce cadre que grandissent Arisa et Jun : deux adolescents aux caractères et aux principes opposés et pourtant très proches. Dans le beau diptyque « Les Enfants de l’empire », l’autrice coréenne Yudori raconte l’histoire de son pays, à partir de leur romance qui s’ignore encore.

Corée, 1929, le pays n’est qu’une colonie de l’empire militariste japonais. La péninsule s’appelle alors Joseon et sa capitale, la future Séoul :  Gyeongsung. C’est ici que grandissent deux lycéens : la moderne Arisa Jo et le très traditionnel Jun Seomoon. Lui est durement marqué par l’histoire récente du pays.

Son père a été battu à mort par un officier japonais quand il avait sept ans. Il est le descendant d’une vieille famille noble désargentée, c’est pourquoi sa mère, devenue veuve, l’a élevé dans la tradition médiévale coréenne, mais dans une grande pauvreté à la campagne.

Elle a finalement accepté l’offre d’un ancien étudiant de son mari, pour se faire domestique dans une grande maison de la capitale.

Monsieur Jo devenu un riche marchand, les loge et demande au timide Jun d’accompagner sa fille dans ses études. Arisa est l’exacte opposée du tendre lycéen : c’est une jeune fille gagnée par les idées occidentales et la culture japonaise. Son aplomb et son sens de la répartie troublent le tendre Jun, désarçonné par cette jeune fille bien moderne.

L’album commence par une vue d’une rue du Séoul de l’époque : devant la foule, habillée de costumes traditionnels, – dopo par-dessus le durumagi pour les hommes, jeogori et jang-ot pour les femmes -, se tient une jeune fille vêtue à l’occidentale et donc regardée avec méfiance par ses concitoyens. Vous avez deviné qu’il s’agit d’Arisa, laquelle semble complètement se moquer du jugement porté sur elle par les passants.

Elle est vite rejointe par Jun qui est chargé par son père de la raccompagner après les cours. Arisa le taquine gentiment et s’amuse du trouble ainsi généré. Le récit se poursuit autour de leur quotidien : lui, le campagnard un peu pataud, moqué par ses camarades du lycée ; elle, héritière fortunée et ingénue futée qui voudrait s’émanciper davantage dans une société encore corsetée.

Yudori est une autrice coréenne dont nous avions remarqué le précédent ouvrage « Le Ciel pour conquête » qui narrait l’histoire d’Amélie, jeune catholique hollandaise du XVIe siècle au caractère rebelle. Elle n’est pas satisfaite de son quotidien aux côtés de son époux : Hans, un marchand issu de la bonne société. Ce dernier rapporte au domicile conjugal Sahara : une jeune esclave coréenne, avec qui Amélie noue une relation très fusionnelle qui va les libérer toutes les deux. Dans cette bande dessinée féministe surprenante, Yudori, avec un trait souple entre bande dessinée européenne et manga, raconte l’histoire de quatre femmes différentes qui vivent sous le même toit. De quoi traiter des thématiques contemporaines sur le fonctionnement d’une société patriarcale et l’affirmation de femmes qui vivent avec un fort sentiment d’injustice. L’autrice porte un regard sans fard sur la sexualité et les corps, sans tabou aucun.

On retrouve les mêmes thématiques dans le diptyque « Les Enfants de l’empire » autour de l’émancipation féminine dans une société patriarcale, ici la Corée des années 1920 -1930. Yudori y décrit avec intelligence et subtilité cette société du temps de la colonisation japonaise.

Le récit se développe autour des relations complexes de deux adolescents que tout oppose dans un Séoul où tradition et modernité se côtoient et parfois s’opposent. Entrecoupé de pages documentaires, historiques et culturelles, cet album est un petit bijou d’intelligence narrative.

De quoi mieux comprendre l’histoire récente du Pays du matin calme à la lecture d’un album superbement édité – au dos toilé- et au dessin précis, éclatant de couleurs. Les lecteurs adolescents s’immergeront avec délectation dans les soubresauts d’une histoire d’amour naissante portée par des dialogues malicieux surtout de la part de la très taquine Arisa.

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Laurent LESSOUS (l@bd) 

« Les Enfants de l’empire »  T1 par Yudori

Éditions Delcourt (24,90 €) – EAN :  978-2-4130-7714-5

Parution 9 octobre 2024

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