« La Suprématie des underbaboons » : un regard sombre sur notre monde…

C’est avec exigence qu’Emmanuel Moynot construit, depuis une quarantaine d’années, une riche carrière où se côtoient des albums classiques (sa reprise de « Nestor Burma », par exemple) et des one-shots aux motivations plus ambitieuses, tel le présent album. Un polar noir et cynique où il établit avec force détails le parallélisme entre le quotidien des babouins africains et le comportement parfois violent de certains individus de notre monde contemporain.

De 1978 jusqu’au milieu des années 1990, Robert Sapolsky et Lisa Share-Sapolsky ont étudié, au Kenya, le comportement de plusieurs troupes de babouins. Les résultats des différentes expériences réalisées par le couple sont intercalés au fil des courts chapitres de ce polar implacable, aux protagonistes soigneusement choisis. 

À travers les États-Unis, des personnalités de premier plan sont retrouvées carbonisées : leurs maîtresses étant soigneusement épargnées par l’assassin. Colleen Thompson, une sculpturale agente du FBI, quitte avec gourmandise Washington D.C. et les locaux de l’agence où elle se morfond. Elle est en route pour Aspen dans le Colorado, où elle est accompagnée par Jim Monroe : un ancien amant d’un jour. Avide de sexe et de tequila, la jeune femme conduit avec cynisme une enquête aux multiples ramifications et qui s’annonce compliquée : persuadée qu’elle est que le tueur est une femme. 

À Ozark, dans le Missouri, Milton McKaulay, un suprémaciste-né partisan de solutions radicales, s’apprête à semer la mort à l’université Lincoln de la capitale, Jefferson City, fondée par des vétérans afro-américains. Au même moment, à Amarillo, au Texas, Marty Hamilton — un post-adolescent expert en informatique —, rêve de devenir tueur à gages. Ses crimes perpétrés, il abandonne sa carte de visite auprès de ses victimes. Jusqu’au jour où il décime frère et parents… 

Le scénario, avec une habileté diabolique, entraîne le lecteur d’un lieu à l’autre, d’un protagoniste à l’autre, jusqu’à une séquence finale spectaculaire qui vous laisse épuisé. Outre le personnage fascinant de Colleen Thompson, Emmanuel Moynot campe une épatante galerie de détraqués avides de sang dont le comportement n’est pas éloigné de celui des grands singes africains. L’utilisation ingénieuse de couleurs différentes d’un chapitre à l’autre permet au lecteur de passer sans encombre de la chaleur de l’Afrique à l’angoisse qu’inspirent les États-Unis aujourd’hui, scindant le récit en deux parties distinctes. On peut d’ailleurs lire indépendamment l’intrigue contemporaine et les séquences éthologiques de ce polar sombre et violent, ce qui serait dommage… Un scénario découpé au scalpel et soutenu par des images puissantes — comme taillées à la serpe — qui réjouiront les amateurs du genre. Un grand album d’Emmanuel Moynot, au meilleur de son art. Ce récit de 102 pages est proposé dans l’excellente collection 1 000 Feuilles des éditions Glénat. 

Né le 15 avril 1960 à Paris, Emmanuel Moynot publie au début des années 1980 ses premières histoires dans le fanzine P.L.G, ou encore dans Dommage, Viper… Son premier album, « L’Enfer du jour », paraît en 1983 aux éditions Glénat. Sa rencontre avec le scénariste Dieter donne naissance au « Temps des bombes », puis à « Nord-Sud », tous deux publiés chez Dargaud. Suivront « Qu’elle crève la charogne ! » chez Vents d’ouest, puis « Bonne fête maman ! » chez Casterman, « Vieux fou ! » chez Delcourt… En 2005, il succède à Jacques Tardi sur la série « Nestor Burma », réalisant six épisodes jusqu’en 2020.

On lui doit aussi de nombreux one-shots publiés chez divers éditeurs : « Pendant que tu dors, mon amour », « L’Homme qui assassinait sa vie », « Suite française », « L’Original », « No direction », « Cherchez Charlie », « L’Assommoir » d’après Zola… En 2023, il dessine « L’Humanité de mes couilles » — dans un style plus humoristique — pour le mensuel Fluide glacial. En 40 ans d’activité, Emmanuel Moynot a conduit une carrière exigeante qui le place au rang des meilleurs auteurs de sa génération.

Henri FILIPPINI

« La Suprématie des underbraboons » par Emmanuel Moynot

Éditions Glénat (21,50 €) — ISBN : 978-2-3440-5980-7

Parution 29 septembre 2024

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