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« Voleur de feu » : Arthur Rimbaud, le poète aux semelles de vent…

24/09/2024
Par Philippe Tomblaine

D’Arthur Rimbaud (1854-1891), on sait tout et on ne sait rien. Empruntant tour à tour à l’élève brillant, au poète révolté ou au génie précoce, le mythe a forgé l’image éternelle d’un être à la fois éthéré et incandescent, particulièrement sensible aux thèmes brûlants de son époque. Éducation, injustice sociale, guerre franco-prussienne, nouveaux courants artistiques… Retraçant avec maestria l’itinérance de cette trouble figure majeure de la littérature française, Damien Cuvillier remonte les années, en complétant les fragments inconnus d’une biographie romanesque. Dans ce deuxième opus, Rimbaud est saisi entre ses premiers poèmes, ses amitiés et la guerre de 1870. Autant d’ivresses et de perditions sublimées…

Une vie d'itinérances (couverture du T1 et p. 25 - Futuropolis, 2023).

Encrage pour la planche 58 (T1).

Paru en septembre 2023 chez Futuropolis, le premier volume de « Voleur de feu » dévoilait les jeunes années de Rimbaud, né à Charleville le 20 octobre 1854. Élevé au milieu de sa fratrie (avec notamment Frédéric et Vitalie), aux côtés d’une mère (également nommée Vitalie) rigide, séparée de son militaire de mari (en 1860) et soucieuse de l’éducation de ses enfants, le jeune Arthur tente peu à peu d’échapper à un climat familial étouffant. Sa chance ? La volonté farouche de se projeter dans les études, l’histoire, la latin et les livres. Dès le collège, il confirme ainsi ses aptitudes exceptionnelles, raflant tous les prix d’excellence, rédigeant en latin avec aisance des poèmes, élégies et dialogues. Un chemin de l’enfance qui passe également par la découverte de la nature, d’escapades bucoliques et rêveuses en travaux des champs. À 15 ans, en janvier 1870, il se lie d’amitié avec George Izambard, son professeur de rhétorique, et voit publier ses premiers vers (« Les Étrennes des orphelins ») dans La Revue pour tous.

Recherches de personnages.

Roughs pour les couvertures des trois premiers volumes.

L’envie d’aller plus loin, plus vite, affranchi des règles judéo-chrétiennes inculquées, transforme peu à peu Rimbaud en écorché vif. Il tente de se rapprocher des poètes parnassiens, valorisant la seule beauté de l’art. Quand débute le deuxième volume de « Voleur de feu », aux premières lueurs de l’été 1870, le feu de la révolte couve sous les braises : le 29 août 1870, quelques jours avant la débâcle française de Sedan, Rimbaud trompe la vigilance de sa mère et se sauve en direction de Paris. Désireux d’innover, cherchant à dépasser ses propres influences, il déclare que le poète doit se faire « voyant » par le « dérèglement de tous les sens » (voir les « Lettres du voyant », rédigées les 13 et 15 mai 1871). Autrement dit, chercher et décrire l’inconnu par delà les perceptions humaines coutumières, quitte à y sacrifier son intégrité ou son statut social. Chargé de faire ressentir le sensible et l’inconnu, de traduire l’âme universelle, voici le poète mué en un « voleur de feu », Prométhée susceptible de redonner aux hommes le pouvoir d’éclairer leur propre destin. Peu avant la même période, Rimbaud écrit (entre mars et octobre 1870) les « Cahiers de Douai », 22 poèmes témoignant de son ennui et de sa rébellion tout autant que de la découverte émerveillée des plaisirs liés à la chair et au désir. Entre nostalgie de l’enfance et rêveries que suscite l’avenir…

Du crayonné à l'encrage et aux ombrages.

Afin de mettre en scène la nouvelle raison poétique évoquée, Damien Cuvillier confine le plus souvent au sublime : au-delà des couvertures (la première montre le jeune Arthur allant à la rencontre de la nature, la deuxième le voit fuir les incendies à l’heure de la Commune de Paris ; deux itinérances en miroir…), le lecteur sera plongé dans une reconstitution minutieuse de la fin du XIX^e siècle, basée sur un dessin hyperréaliste en couleurs directes. Du choix des angles de vue à la proposition contemplative de planches muettes en passant par l’alternance subtile entre villes et campagnes, temps solitaires et vie publique, acceptations et révoltes, Damien Cuvillier (auteur ayant participé aux « Chroniques » de « Notre mère la guerre », « Nuit noire sur Brest », « Mary Jane » et « Le Choix du chômage », titres tous parus chez Futuropolis depuis 2009) entraine ses lecteurs dans un récit digne de Flaubert ou de Zola, en se jouant de la réalité et des fragments invérifiables de la vie de Rimbaud. Comme l’avoue l’auteur : « La genèse de cette série, c’est mon amour pour la poésie de Rimbaud, que j’ai découvert adolescent, allié à la volonté de raconter sa vie en bande dessinée. Mais au-delà de ça, de donner un autre regard sur la figure et le mythe Rimbaldien : le génie précoce, l’aventurier, etc… Rimbaud est un personnage qui fascine par son œuvre aussi courte que sa vie, mais aussi par tous ces vides qu’il a laissés. C’est bien pour cela que cette série est une fiction et non pas une biographie qu’il faut prendre au pied de la lettre : je prends énormément de liberté avec ce personnage. » Comme tout bon biopic actuel, « Voleur de feu » se veut par conséquent une œuvre documentée, mais non documentaire. Il en va ainsi de la relation avec son mentor, George Izambard, qui alimente du reste la découverte par Rimbaud du thème de l’homosexualité dans ce deuxième volume. « On n’est pas sérieux, quand on a 17 ans… », paraît-il.

Roughs et couleurs pour la couverture du T2.

Quatre autres albums sont encore prévus, qui devraient permettre de couvrir plus particulièrement la relation Rimbaud-Verlaine et la vie aventureuse du poète, devenu négociant, trafiquant (d’armes !), explorateur – et même photographe – jusqu’en Abyssinie (de 1880 à 1891). Une vie aux parfums d’exotisme et de mystères, qui allait encore un peu plus contribuer à renforcer la légende de « L’Homme aux semelles de vent »…