« Orson Welles » : une certaine soif de cinéma….

Le théâtre shakespearien, « La Guerre des mondes » dans une émission de radio culte et plusieurs films majeurs, dont « Citizen Kane » (1941)… Autant de mots, de noms ou d’images associées à Orson Welles : monstre sacré dont la présence, la voix et le génie créatif ont à jamais marqué le cinéma hollywoodien et européen des années 1950-1970. Le fantôme de ce farouche indépendant retrace ses réussites et ses revers, au travers d’un truculent one-shot où Youssef Daoudi s’aventure dans les coulisses d’une œuvre. « De l’autre côté du vent » [« The Other Side of The Wind »], en quelque sorte…

Welles évoquant « De l’autre côté du vent » (p. 22-23, Delcourt 2024).

Originaire du Wisconsin (né en 1915), Orson Welles devient très rapidement un homme de scène et de théâtre. La séparation de ses parents, puis leurs morts successives (1924 et 1930), poussent en réalité le jeune homme à se transcender, tout en se passionnant pour la tragédie et en cherchant de nouveaux mentors. Le magicien Harry Houdini l’initie ainsi à l’illusionnisme : le théâtre à l’art du déguisement. Il peut ainsi cultiver ses passions d’enfance pour la lanterne magique et le spectacle de marionnettes, Orson n’hésitant pas à écrire et interpréter tous les rôles. Il triomphe une première fois en 1937, grâce à sa réinterprétation de « Jules César » (Shakespeare, vers 1600), remis en parallèle du fascisme mussolinien. Engagé par CBS, il devient célèbre en faisant croire, le 30 octobre 1938, à une attaque extraterrestre de grande ampleur, en s’inspirant tout simplement de la « Guerre des mondes » d’H.G. Wells. Engagé par la RKO, il travaille sur une adaptation de Conrad (« Au cœur des ténèbres »), en proposant une caméra subjective : le projet, trop couteux, est refusé. Welles, aidé du scénariste Herman Mankiewicz, imagine alors la trame de « Citizen Kane » (1941). Une quête de pouvoir et de richesse jusqu’au-boutiste, largement inspirée par la vie et l’avidité du magnat de la presse William Randolph Hearst… qui tente de faire interdire le film tout en discréditant Welles, taxé d’être un partisan communiste.

Un homme de spectacle (p. 40, Delcourt 2024).

« La Guerre des mondes », « Au cœur des ténèbres » et « Citizen Kane »...

Divisé en chapitres revenant sur des dates et moments-clés de la carrière en dents de scie du maître, l’album s’amuse à illustrer Welles tel un démiurge souvent impuissant face à la machine hollywoodienne : coupes des financements, visions artistiques divergentes, soucis techniques, mauvaise réception critique ou publique, les coups du sort et véritables tragédies s’acharnent. Ainsi, lors du tournage en 1942 de « Quatre Hommes et un bateau », chapitre du film « It’s All True », lorsqu’une vague emporte l’un des marins-pêcheurs brésiliens qui jouait son propre rôle… Avec ou sans barbe, jeune premier fiévreux et hanté par ses rôles ou réalisateur tonitruant, Welles ne cesse de se transformer au cours de sa vie : amateur de bons crus et de repas gargantuesques, le grand dramaturge (1,92 mètre) doublé d’un génie ventripotent (150 kilos), tout à la fois esthète raffiné, arbitre des élégances et Prospero de centre commercial, incarnera ainsi tout autant « Macbeth » (1948) que « Falstaff » (1965), les peu recommandables Hank Quinlan (dans « La Soif du mal », 1958) et Le Chiffre (dans l’adaptation parodique de « Casino Royale » en 1967), l’héroïque Raoul Nordling (l’éminent consul de Suède de « Paris brûle-t-il ? » en 1966) ou encore l’orgueilleux Théo Van Horn dans « La Décade prodigieuse » de Claude Chabrol (1971). Rappelons que Welles, qui épousa Rita Hayworth en 1943, fut également l’ami de Franklin Roosevelt, Laurence Olivier, Marcel Pagnol, Sacha Guitry et Jeanne Moreau.

Hollywood, à nous deux... (p. 73, Delcourt 2024).

Oscillant entre séquences dialoguées et voix off abordant notamment les œuvres inachevées, l’album évoque plus particulièrement, dès ses premières planches, le synopsis de « De l’autre côté du vent » : un film dans le film, racontant le grand retour d’un réalisateur qui, à 70 ans, à la veille de sa mort, achève son œuvre la plus importante, en défiant avec mélancolie toute la jeune garde hollywoodienne. Commencé par Welles en août 1970 avec ses amis John Huston et Peter Bogdanovich, le tournage (chaotique) s’étend jusqu’en 1976, sans jamais sortir en salles. Repris et monté par Bogdanovich, le film sortira finalement en 2018 sur Netflix. Également grand amateur de tauromachie et de l’Espagne (pays qu’il découvre à 17 ans), Welles tenta tout aussi longuement d’adapter « Don Quichotte ». En vain, l’égotique Welles essayant en parallèle de convaincre certaines célébrités (Ava Gardner, Anthony Quinn, Lee Marvin, Frank Sinatra, etc.) de le suivre sur les gradins des arènes !

Welles dans « Vérités et mensonges » (« F for Fake », O. Welles et François Reichenbach 1973).

Ombre et lumière, silhouette omniprésente ou éthérée, passionné du 7art (« la boîte de peinture la plus dispendieuse qui soit ») Welles fut un ogre à l’appétit insatiable. Une faim de récits sans fin, pour celui qui fut acteur, réalisateur, producteur, scénariste, metteur en scène, dessinateur, écrivain et magicien (voir « Vérités et mensonges », 1973, qui inspire du reste le visuel de couverture). Distingué de la légion d’honneur par François Mitterrand en 1982, Welles disparait pour de bon à Los Angeles en 1985 : ces cendres étant dispersées en Espagne. Parfaitement documenté, Youssef Daoudi rend malicieusement hommage à la carrière et au physique tout en courbes et en volutes de Welles : le dessin au trait dynamique cerne l’homme (au cigare !) et le créateur, son œuvre et ses démons, jetés pêle-mêle au fil de 272 pages dans un Hollywood plus fantasmatique et « miroir aux alouettes » que jamais…

Welles, devenu un iconique gardien pour Schuiten et Peeters en 1987 dans « Les Cités obscures T3 : La Tour ».

Philippe TOMBLAINE

« Orson Welles : l’artiste et son ombre » par Youssef Daoudi

Éditions Delcourt (28,95 €) – EAN : 978-2413041115

Parution 25 septembre 2024

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