La fille aux cheveux turquoise qui inspira « Pinocchio » !

« Les Aventures de Pinocchio » ! Depuis 1881, tout un chacun admire le chef-d’œuvre de l’Italien Carlo Lorenzini, dit Collodi. Pour autant, qui connaît la genèse de ce roman pour enfants ? Précieux, émouvant, le récit signé Elena Triolo relate ainsi l’amitié entre l’écrivain et sa cadette Giovanna : la muse qui lui inspira le personnage de la Fée bleue. Avanti !

D’emblée, avec son élégante typographie, le titre de ce roman graphique intrigue : « La Fille aux cheveux turquoise ». Qui est-elle ? Telle est la question à laquelle répond ce livre au format médian et possédant une bonne main. C’est de bon augure : ouvrons-le, compulsons. Au fil du contenu de quelque 170 pages, une gamme délicate de gris colorés habille un dessin au trait sobre, à l’os, sans fioritures ni esbroufe, et au tracé si fin. Un graphisme signé par une talentueuse Toscane de 36 ans : Elena Triolo.

Entrons maintenant dans le récit de ce livre initialement paru en 2024, en Italie, sous le titre Turchina et déjà considéré comme un chef-d’œuvre au-delà des Alpes. Alternance de drôlerie et de tristesse, oscillant entre le réalisme le plus cru et la poésie la plus délicate, ce récit gracieux et tendre relate la véritable histoire de cette Fée bleue, marraine fictionnelle de Pinocchio.

Tout débute en 1872. Alors, âgé de 46 ans, Carlo Collodi est un fonctionnaire cerné par l’ennui, doublé d’un écrivain déçu par l’insuccès de ses pièces, au point de verser dans l’alcoolisme. Cependant, dans une villa du Castello, près de Florence, le journaliste rencontre alors Giovanna Ragionieri : la fillette du jardinier de cette propriété toscane appartenant à son frère Paolo, ce dernier étant devenu directeur d’une manufacture florentine de porcelaine du fait de la mansuétude d’un riche marquis.

Giovanna est l’héroïne du présent album. Tout la sépare de Collodi. L’âge, la condition sociale, l’éducation. Et pourtant, une amitié se noue entre le quadragénaire et l’espiègle fillette de sept ans aux cheveux aux reflets bleus. Devenue camériste des Lorenzini en 1881, Giovanna devient bientôt une héroïne de papier de Collodi, avec l’imaginaire duquel, quelques années auparavant, elle confrontait le sien. Son mentor fait fi des conventions sociales, boit le café avec la domesticité, se rend à la foire avec la jeune Giovanna, et ce en dépit du regard étriqué de son monde.

Si le paternel Collodi participe généreusement à l’éveil culturel de la jeune fille de domestiques, c’est aussi parce que son frère et lui bénéficient de la générosité d’un marquis. Cet altruisme les a extirpés de la condition sociale dans laquelle vit toujours la famille de sa protégée Giovanna. Cette noble bienveillance a surtout permis à Collodi de ne plus être astreint à un travail, et ainsi d’écrire. Par un juste retour, le bon Collodi veut rendre la pareille à sa cadette. Ce récit d’une amitié candide et légère dans un monde socialement pesant se voile parfois de tristesse, çà et là. Giovanna n’est pas sans rappeler à Collodi le souvenir de sa sœur cadette disparue : Marianna, également blonde…

En octobre 1881, Giovanna découvre, à la lecture de « Pinocchio », être la Fille aux cheveux turquoise : la fameuse Fée bleue de Pinocchio. Un être fictionnel ! Dès lors, alors que cette incarnation lui apporte la reconnaissance des siens, s’évanouissent ses complexes autour de la couleur de ses cheveux.

Cette longue et magnifique amitié perdure jusqu’à la mort du sexagénaire Collodi en octobre 1890. Et même au-delà… Après la disparition de Collodi, et alors que l’univers social de ce dernier s’évanouit peu à peu, Giovanna poursuit sa trajectoire personnelle, entre mariage, maternité et deuil, tout en poursuivant un dialogue post-mortemavec son cher mentor disparu. En 1921, la vénérable Giovanna découvre, en un jeune garçon prénommé Pietro, le souvenir de son propre fils disparu… L’histoire se répète : Giovanna comprend mieux les raisons qui ont jadis poussé Collodi vers la fillette qu’elle était.

Enfin, et ce n’est pas le moindre des intérêts de ce récit d’une belle profondeur humaine, il confronte le rôle du conte — synonyme de besoin d’évasion — avec la réalité la plus triviale de la première moitié du tragique XXe siècle, entre montée du fascisme et conflits armés.

Refermée, cette histoire aux allures de conte s’avère un joli moment de lecture, intelligent et sensible. «Tu n’as jamais cessé de me manquer, tu sais», avouait Giovanna à son disparu Collodi. Elle manquera aussi à tous les lecteurs qui refermeront cet album. Après tout, « nous méritons tous de rêver un peu».

Jean-François MINIAC 

«La Fille aux cheveux turquoise» par Elena Triolo

Éditions Anspach (24 €)  ISBN : 978-2-931105-31-3

Parution 20 septembre 2024

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