Belle adaptation du remarquable roman noir situé au cœur des Cévennes de Franck Bouysse !

Franck Bouysse, écrivain corrézien renommé, est un amateur érudit du 9^e art depuis longtemps (1). Après avoir commis, avec son talent narratif habituel, le scénario de la BD « Été brûlant à Saint-Allaire » (un scénario original pour Daniel Casanave) (2) et adapté, avec son complice Fabrice Colin, l’un de ses autres drames ruraux (« Glaise ») dessiné par Loïc Godard, il remet aujourd’hui le couvert en réinterprétant lui-même son « Grossir le ciel » pour la bande dessinée. Ce roman sombre — dur et âpre, mais intense et poignant —, récompensé par le prix Polar Michel Lebrun en 2015 et le prix SNCF du polar en 2017, est mis subtilement et sobrement en images par le prometteur Borris : le dessinateur de la BD « Charogne », quant à elle lauréate du prix Quai du polar en 2019.

Au fin fond des Cévennes, Gus vit dans sa ferme avec son chien, Mars, pour seule compagnie et réconfort. Toutefois, il y a bien son voisin Abel, qui habite à quelques vallons de distance : un homme au lourd passé — d’une vingtaine d’années de plus que lui — tout aussi bourru, taiseux et solitaire qu’il l’est, lequel est devenu un ami de circonstance. Si les rares rapports qu’il entretient avec lui se limitent à l’utilitaire ou à se partager un canon de temps en temps, ils lui permettent, quand même, de garder un semblant de sociabilité.

Ses journées sont consacrées aux champs, aux vaches, au bois, aux réparations diverses… : des travaux ardus, rythmés par les conditions météorologiques. Cependant, son quotidien routinier va se trouver bouleversé en cet hiver 1989, quand il entend des coups de feu, lors d’une chasse aux grives dans les monts de sa Lozère, et découvre, dans la neige qui a enroulé son blanc et froid manteau autour d’une nature majestueuse et intransigeante, des traces de sang menant à la ferme du vieil Abel…

Gus, qui aspire pourtant à la tranquillité depuis la mort tragique de ses parents, va-t-il devoir se mêler de ce mystère qui ressemble bien à un meurtre, d’autant plus que des événements inhabituels se produisent et que des visites inopportunes se répètent ?

À priori, il ne se passe pas grand-chose dans ce roman d’ambiance d’un noir lumineux…

Tout est dans l’atmosphère pesante, inquiétante, gravée dans la solitude et le silence… qui s’installe insidieusement.

Le dessinateur Borris réussit, d’ailleurs, à lui donner aussi une dynamique nouvelle, alternant les techniques et passant de scènes apaisantes en tons de gris à des flash-back plus brutaux : tant dans les niveaux de noir (où son trait se révèle plus vif) — ou dans les bichromies (par exemple avec des rouges évoquant des cauchemars sanglants) — que dans les instants de brefs espoirs, le temps de quelques pages toutes en couleurs.

Responsable de l’adaptation scénaristique de son texte, Franck Bouysse a donc dû, évidemment, faire des choix : ayant même raboté quelque peu les dialogues pourtant déjà peu nombreux — mais constamment percutants, car ajustés, en quelque sorte, à la rudesse de la vie de ses personnages — du roman d’origine (sorti à La Manufacture de livres, en 2014), afin de laisser encore plus de place aux images.

 « L’important, quel que soit le genre, c’est de préserver sa propre musique », avait-il déclaré il y a quelque temps, au sujet de sa revisitation de « Glaise » en BD chez Marabout, en 2023. Il semble, qu’en bon artisan de l’écriture, il ait réussi, dans la transposition en cases et en bulles de ce sombre et saisissant huis clos rural sur le besoin de rédemption, à conserver et à imposer son style : cette caractéristique griffe poétique, simple et brute, qui nous laisse toujours le souffle court…

Gilles RATIER

(1)  On lui doit même les dossiers de présentation de l’intégrale « Théodore Pouusin » de Franck Le Gall, paru chez Dupuis de ; voir Frank Le Gall.

(2)  Voir sur BDzoom.com : Cambrousse tonique !.

« Grossir le ciel » par Borris, d’après Franck Bouysse 

Éditions Delcourt (18,95 €) — EAN : 9 782 413 027 485

Parution 11 septembre 2024

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