Un voyage en terre inconnue, là-haut…

Après un bel album — « Alexandra David-Néel », publié en 2016 (1) —, le duo d’auteurs Christian Perrissin et Boro Pavlovic revient au Tibet à travers l’exploration entreprise par deux frères, à partir de 1939. L’aîné, François de la Grézère, tient son journal en tapant sur sa machine à écrire, et son récit rythme finalement tout ce voyage, forcément initiatique. Il va rencontrer Alexandra David-Néel et lui demander des conseils pour aborder ce pays et ce peuple si différents. Gabriel, le puîné, est plus rêveur que François, plus imprévisible et quelque peu fragile : au point de tomber malade en cours de voyage. Ils rencontreront, avant la frontière, les derniers militaires chinois en avant-poste, de paisibles Tibétains et enfin le pays golok et son mont sacré, l’Amnye Machen. Un album qui s’épanouit lentement, comme le fait cette exploration dans l’inconnu, sans esbroufe, visant l’authenticité et la sobriété.

Dès le prologue qui ouvre l’album, un retour en arrière nous montre les deux frères en 1921 — préadolescents d’une famille aisée —, rêvant déjà du Tibet et d’aventure. Quelque 18 ans plus tard, à Kangding, la dernière ville chinoise avant le Tibet, François prépare l’expédition. Il lui faut contacter le guide Dagchen (qui s’avère introuvable), obtenir une audience inespérée avec David-Néel, et se munir de mules, d’un cheval, d’armes et de chargement. En plus de son journal, lequel nous permet de le suivre, François écrit à sa mère.

L’expédition, très chargée au début, commence à attaquer la montagne, et bientôt les explorateurs aperçoivent le Tibet. Dans les hautes plaines, ils découvrent un peuple paisible et rural, différent des Chinois. Bao les accompagne, comme cuisinier : un homme simple et loyal. En milieu d’album, le narrateur change parfois, et ce qu’on perçoit de l’expédition est raconté au passé, avec des manques, en se basant sur le journal de François. On pressent que quelque chose d’inattendu ou de grave a dû se passer. Entretemps, Gabriel est de plus en plus malade, peut-être empoisonné. L’exploration continue cependant, mais le danger grandit, surtout à l’approche des guerriers golok…

À la différence de leur album consacré à Alexandra David-Néel — une exploratrice mondialement connue —, Christian Perrissin et Boro Pavlovic ont choisi pour cette nouvelle aventure deux individus anonymes. Cela les rapproche du lecteur, qui découvre avec le même émerveillement qu’eux, presque naïf, des paysages hors du temps. Du fait du récit à la première personne, le lecteur est en effet au plus près des sentiments et des impressions des protagonistes. Le progrès lent de cette équipée participe aussi à la magie, à la fascination qui s’installe peu à peu.

Le style graphique du dessinateur croate — réaliste, sobre, simple en apparence — permet cette fascination. La sobriété est aussi rendue par les couleurs : étouffées, presque ternes, mais expressives, ce qui correspond bien aux contrées modestes, pauvres etparfois farouches que l’on traverse. Un beau voyage lent, envoûtant, qui emporte le lecteur presque malgré lui. Suite et fin annoncées au tome 2 !

Patrick BOUSTER

(1) Voir : « Une vie avec Alexandra David-Néel » T1 par Fred Campoy et Mathieu Blanchot — « Alexandra David-Néel : les chemins de Lhassa » par Boro Pavlović et Christian Perrissin.

« Les Hautes Solitudes T1 : Voyage en pays golok » par Boro Pavlovic et Christian Perrissin

Éditions Glénat (15,50 €) — ISBN : 978-2-344-04978-5

Parution 12 juin 2024

Galerie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>