Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Trois BD témoignent du massacre d’Oradour-sur-Glane, pour célébrer les 80 ans de ce crime de guerre !
Il y a 80 ans, le samedi 10 juin 1944, le paisible bourg limousin d’Oradour-sur-Glane a été anéanti en quelques heures, par une action brutale et méthodique, due à une partie de la division Das Reich de la Waffen SS, qui a délibérément assassiné 643 de ses habitants. Trois bandes dessinées — média qui n’avait pas encore été utilisé pour en parler — viennent simultanément de paraître, afin de commémorer ce terrible massacre. Ainsi que pour essayer de préserver et transmettre, aux nouvelles générations, la mémoire et les valeurs républicaines des hommes et des femmes qui ont défendu le territoire national et ses idéaux : c’est ce que l’on appelle le devoir de mémoire. Et deux d’entre elles sont scénarisées par deux émérites collaborateurs de BDzoom.com  !
Commençons par « Oradour : l’innocence assassinée » aux éditions Anspach : un projet soutenu par l’Association nationale des familles des martyrs d’Oradour-sur-Glane et initié directement par Robert Hébras, le dernier survivant de l’hécatombe, avant son décès à l’âge vénérable de 97 ans. Celui qui avait, trois ans avant les événements, animé le club de lecture de l’hebdomadaire Benjamin de Jean Nohain, dit aussi Jaboune — lequel publiait plusieurs bandes dessinées — souhaitait, ainsi, sensibiliser davantage les plus jeunes à ce monstrueux événement de notre histoire. Avec son dessin très réaliste et documenté, Bruno Marivain (« La Mémoire des ogres », « Julia von Kleist », « Normandie juin 1944 »…) a parfaitement reconstitué l’époque et le déroulement de cette plus importante hécatombe de civils commis en France par les armées allemandes, afin de suggérer l’horreur des actes perpétrés : son trait étant sublimé par les couleurs subtiles du studio Cerise. C’est notre ami chroniqueur Jean-François Miniac qui s’est occupé, avec brio, du scénario très détaillé, après la lecture de la plupart des livres et de la presse concernant cette barbarie, puis du découpage. Excellent dessinateur par ailleurs (notamment sur des BD de la collection Agatha Christie ou sur « Outsiders » avec François Rivière), notre collaborateur a exécuté de nombreux croquis, directement sous les directives de Robert Hébras. Dans le but de respecter la plus scrupuleuse véracité historique, les deux complices ont aussi travaillé en collaboration avec plusieurs historiens, dont les locaux Dominique Danthieux et Philippe Grandcoing (auteurs du dossier pédagogique).
Passons ensuite au non moins intéressant « Oradour-sur-Glane : 10 juin 1944 » aux éditions Petit à petit : un récit illustré de ce jour effroyable (qui marqua profondément les consciences) par l’Italienne Maria Riccio ou le Breton Emmanuel Cerisier — plus particulièrement pour les parties historiques —, ainsi que par le Lyonnais Arnaud Jouffroy pour les années qui ont suivi le carnage.
Car l’album embrasse aussi tout ce qui est survenu depuis la tragédie (procès de 1983 et 1983, visites et hommages présidentiels, questionnement sur le village martyr actuel, récits appuyés par les pages documentaires), ainsi qu’une anecdote familiale intégrant le rôle des « malgré nous ».
Il est scénarisé efficacement — et enrichit de quelques pages documentaires — par le spécialiste BD Philippe Tomblaine (professeur à côté d’Angoulême, mais natif de Limoges) : éminent membre de BDzoom.com et animateur de la rubrique « L’Art de… ».
L’ouvrage, destiné à un large public et même aux jeunes, est composé de petites saynètes de trois à sept planches consacrées chacune à un épisode du génocide ou aux célébrations qui ont suivi, mises en images par deux dessinateurs et une dessinatrice aux styles pas trop éloignés et fort agréables (un peu dans la mouvance roman graphique).
Elles sont entrecoupées de textes didactiques, avec des photos ou documents d’archives et des dessins de reconstitution. Remarquons que, pour chaque BD vendue, 1 € est reversé à la Fondation du patrimoine pour la restauration du village martyr, dont, depuis 1999, le souvenir des victimes est commémoré par un Centre de la mémoire situé à proximité des ruines à peu conservées en l’état et que l’on peut visiter.
Enfin, « Le Dernier Témoin d’Oradour-sur-Glane : l’histoire vraie de Robert Hébras » est l’adaptation en BD du livre « Le Dernier Témoin d’Oradour-sur-Glane ».
Le survivant — qui avait 18 ans lorsque la division blindée nazie a investi l’inoffensif village de Haute-Vienne — l’a coécrit avec Mélissa Boufigi et l’éditeur HarperCollins en a d’ailleurs profité pour rééditer ce témoignage avec l’ajout d’un chapitre inédit.
Le scénariste et romancier Arnaud Delalande (bien connu pour diverses séries historiques de bonnes tenues : « Le Dernier Cathare », « Surcouf », « Aliénor : la légende noire »…) est chargé de l’appropriation textuelle en BD.
Quant à la partie illustration, c’est Laurent Bidot, lui aussi rodé aux bandes dessinées historiques (« Le Linceul », « L’Éternel », « Les Trois Mousquetaires »…), qui s’en est occupé.
Tous les deux mettent aussi, avec pudeur et puissance, la vie de ce miraculé qui a rejoint ensuite le maquis, puis l’armée pour participer aux combats de la Libération, et qui, jusqu’à la fin, sera habité par un travail de mémoire. La BD est suivie d’un cahier agrémenté de photos, infographies et cartes, et de notes explicatives d’Agathe Hébras : la petite-fille de Robert. Elle revient également sur le débarquement, le parcours de la division Das Reich dans les Pyrénées, la construction du nouveau bourg, le procès de Bordeaux, le projet pour Oradour demain et la transmission de mémoire, à l’heure où les témoins directs ont tous disparu.
Voilà donc trois albums pour un sujet douloureux qui n’avait jamais été traité en bande dessinée et qui ciblent des lectorats qui se veulent différents : espérons qu’ils trouveront chacun leur public, car ils sont tous de qualité…
Gilles RATIERÂ
« Oradour : l’innocence assassinée » par Bruno Marivain et Jean-François Miniac
Éditions Anspach (20 €) — EAN : 9 782 931 10 524 5
Parution 24 mai 2024
« Oradour-sur-Glane : 10 juin 1944 » par Arnaud Jouffroy, Emmanuel Cerisier et Maria Riccio et Philippe Tomblaine
Éditions Petit à petit (19,90 €) — EAN : 9 782 380 46 201 2
Parution 22 mai 2024
« Le Dernier Témoin d’Oradour-sur-Glane : l’histoire vraie de Robert Hébras » par Laurent Bidot et Arnaud Delalande, avec Agathe Hébras
Éditions HarperCollins (21,90 €) — EAN : 9 791 033 91614 7
Parution 29 mai 2024