N’hésitez pas à revenir régulièrement sur cet article, puisque nous l’alimenterons, jour après jour, avec tout que nous envoient nos amis dessinateurs, scénaristes, coloristes, libraires, organisateurs de festivals et éditeurs pour vous souhaiter de joyeuses fêtes : et ceci jusqu’à la fin du mois de janvier 2024 !
Lire la suite...« KGB, le complot cosmique » : démons au pays des Soviets…
Oubliez tout ce que vous connaissiez de l’URSS des années 1960 ! Dans les quatre volumes de « KGB », réédités en intégrale en ce début mai, Valérie Mangin et Malo Kerfriden vous dévoilent les coulisses insoupçonnées de la conquête spatiale : ou comment, en pleine guerre froide, deux enquêteurs versés dans le paranormal tentent de comprendre les horribles phénomènes qui menacent le Kremlin… Entre sciences et ésotérismes, des portes infernales s’ouvrent sur de vieux démons qui en rappellent d’autres, beaucoup plus contemporains…
Mélangez la véritable histoire de l’Union soviétique, La Divine Comédie » (Dante, vers 1320), « L’Appel de Cthulhu » (H. P. Lovecraft, 1928), « X-Files : aux frontières du réel » (1993) et « Sandman » (Neil Gaiman, 2004), et vous aurez une idée de la teneur du complot cosmique qui se trame dans les sous-sols du KGB à partir de février 1961. Dans le premier volume (« KGB T1 : Les Démons du Kremlin »), initialement publié chez Soleil sous le label Quadrant solaire en juin 2006, les lecteurs suivaient les pérégrinations de deux héros inhabituels : Ava et Dimitri, à la fois scientifiques, sbires et cobayes anciennement placés au service d’un certain professeur Von Ausch. Ce dernier, récemment missionné pour encadrer le décollage historique du premier programme spatiale soviétique à Baïkonour (Youri Gagarine, premier humain à effectué un vol habité dans la sonde Vostok 1, le 12 avril 1961) ne semble pas vraiment en odeur de sainteté auprès des apparatchiks. Il faut dire que Von Ausch, ancien scientifique allemand, mi-Raspoutine et mi-démon, inspire crainte et terreurs : autant, sinon plus que ces maîtres du Kremlin – bien réels ceux-là… – nommés Nikita Khrouchtchev (premier secrétaire du Parti communiste de 1953 à 1964), Leonid Brejnev (président du Præsidium du Soviet suprême – fonction honorifique de chef de l’Etat – de 1960 à 1964) et Alexandre Chélépine, chef du KGB entre 1958 et 1961. Rappelons que le terme KGB, qui donne son nom à cette série, signifie Comité pour la sécurité de l’État. Créé entre mars 1954 et 1991, il remplaça les anciens organismes successifs de la police politique, se forgeant une très sinistre réputation durant la guerre froide, en tentant de contrôler (dans le bloc communiste de l’Est comme dans le bloc capitaliste de l’Ouest), d’intimider voire d’assassiner tous les dissidents politiques accusés de « subversion idéologique ». Une main de fer et des pratiques toujours d’actualités en Russie avec le FSB, service de renseignement entièrement placé au service du régime de Vladimir Poutine et ayant une indéniable influence sur les élites et politiques soviétiques.
En 2005 et 2006, Denis Bajram et Valérie Mangin avaient pu créer chez Soleil le label Quadrant solaire, susceptible d’accueillir et d’initier des récits plus adultes, tels les incontournables séries « Universal War One » (1998-2006) et « Le Fléau des dieux » (2000-2006). Rebaptisé Quadrants en 2007, et devenu une structure à part entière, ce label devint une filiale du groupe MC Productions, la maison mère des Éditions Soleil. Y furent notamment rassemblées divers albums ou séries scénarisé(e)s par Valérie Mangin, comme « Petit Miracle » (dessin par Griffo ; 2003-2004), « Luxley » (dessin par Francisco Ruizgé ; 2005-2011) et « Trois Christs » (dessin par Denis Bajram et Fabrice Neaud ; 2010). Naturellement, après un premier volume fondateur, les trois tomes suivants de « KGB » rejoignirent ce corpus en janvier 2008 « T2 : Le Sorcier de Baïkonour »), novembre 2008 (T3 : Le Royaume de Belzébuth » et avril 2010 (« T4 : La Porte du paradis »).
Concernant la genèse de la série, Valérie Mangin explique : « J’avais écrit ce scénario spécialement pour Malo Kerfriden. Contrairement aux dessinateurs avec qui j’avais travaillé jusque-là, je le connaissais bien avant qu’on commence la série. C’est resté un ami, heureusement ! « KGB » fut une de mes rares incursions dans le XXesiècle. Je voulais faire une série fantastique mêlant un background très terre à terre (la vie quotidienne au Kremlin) avec une forte connotation scientifique (la conquête spatiale) et des démons déjantés, prêts à tout pour retourner au Paradis. Je venais de lire le « Sandman » de Neil Gaiman et il m’avait fortement influencée. J’ai préféré situer l’histoire en URSS post-stalinienne plutôt qu’aux États-Unis, car cela aurait été un peu convenu. Et puis, je trouvais intéressant de confronter mes monstres à un régime athée, habitué à nier totalement leur existence. Finalement, qui est le plus monstrueux des deux ? »
Malo Kerfriden précise : « Après « Quarterback » (avec David Chauvel), j’avais commencé à travailler sur un projet de S.F. avec Richard Marazano. De passage à Bruxelles, Valérie et Denis m’ont parlé de ce projet de Fantastique Soviétique sur lequel travaillait Vukasin Gajik (le frère du dessinateur du « Fléau des dieux »). J’avais été passionné par l’histoire de Valérie et très impressionné par les pages de Vukasin. Finalement, le projet s’est retrouvé sans dessinateur et j’ai sauté sur la place libre en abandonnant mon projet S.F. Nous avons signé chez Soleil, mais la série a finalement servi de rampe de lancement au label Quadrant solaire. Pour les visuels de couverture, j’essaye en général de retranscrire fidèlement l’ambiance et le sujet de la série ou de l’album. Le fait que Denis soit aux manettes de la direction graphique m’a donné une liberté incroyable. Une anecdote : le personnage féminin du T1 étant trop dénudé pour le marketing et la diffusion chez Soleil, il m’a fallu rivaliser d’ingéniosité pour cacher l’objet du délit… »
D’un album aux suivants, Ava et Dimitri, transformés en super-agents soviétiques malgré eux, ne vont avoir de cesse de percer les secrets du maléfiques Von Ausch, jusqu’à pénétrer derrière les portes des Enfers pour en débusquer les origines du Mal. Jouant du grand écart entre athéisme communiste forcené, tenailles du pouvoir central autoritariste, scénario ésotérique et remise en perspective des cosmogonies mondiales, Valérie Mangin ne craint pas de perdre ses lecteurs entre plusieurs dimensions. Division blindée contre démons, anges déchus (Lucifer et Belzébuth, assoiffés de sang… rouge) et accessits pour le pouvoir : observons que la course aux étoiles, racontée en parallèle, n’est rien sans doctrine ni philosophie. Entre croyances, biologie ou astrophysique, la série semble poser au final une question essentielle à ses lecteurs : tous les rêves humains méritent-ils que l’humanité s’y consacre sans se consumer elle-même ? La route du paradis est toujours assez démoniaque pour vouloir être conquise, jeu et enjeux éternels de grandes puissances…
Philippe TOMBLAINE
« KGB, le complot cosmique : intégrale » par Malo Kerfriden et Valérie Mangin
Éditions Soleil (39,90 €) – EAN : 978-2-302102071
Parution 2 mai 2024