Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Pour Lefranc, la guerre froide, quel western !
Guy Lefranc revient sur les traces de son oncle Antoine, disparu mystérieusement en Andalousie pendant la guerre civile espagnole en 1946. Il va faire la connaissance d’Inès de la Cerna : ancienne pasionaria de la résistance anti-franquiste, et à l’époque compagne d’Antoine Lefranc. Au même moment, près d’Almeria (en Andalousie bien sûr !), un gros accident se produit entre deux avions américains en manœuvre, dont un transportait quatre bombes H ! Peu à peu, Lefranc en saura plus sur la mort de son oncle. Une plongée dans l’Espagne franquiste, et surtout le rappel d’un épisode véridique qui a eu lieu (trois ans plus tard) sur les côtes d’Andalousie. (1)
Si l’inspecteur Renard ouvre l’album, c’est seulement le temps d’un prologue d’une page qui décide Lefranc à partir pour l’Espagne, lors de ses prochaines vacances, au printemps 1963. Le car qui l’amène au petit village de Garrucha lui donne l’occasion d’observer Soledad, la fille d’Inès de la Cerna — qu’il ne connaît pas encore —, ainsi que le jeune Lucas : le fils du pêcheur Roberto, qui fréquente la jeune fille en se cachant de son père. Après la terrible explosion au-dessus de la mer, les autorités font rechercher les débris : certains ont touché des zones habitées, mais une torpille nucléaire est tombée en mer. Et, de son côté, le sombre Roberto — une brute franquiste extrémiste — s’est mis en tête de repêcher ladite torpille, dans un but très peu recommandable… Quant à Lefranc, qui enquête à propos de son oncle et retrouve la journaliste Janet Kier — rencontrée dans « La Stratégie du chaos » — prête à  l’épauler, il est amené à découvrir des détails troublants sur les circonstances de la mort d’Antoine Lefranc. Ceci grâce au médecin qui a certifié le décès comme naturel, mais qui ne peut pas révéler un secret épouvantable. La vérité éclatera bien entendu en fin d’album.
Plus encore que dans « Le Scandale Arès » — le précédent volume de l’équipe composée de Roger Seiter et Régric —, cet album se base sur des faits réels : ce qui est à double tranchant. La solidité du propos ne peut pas être remise en cause et toute la narration de l’incident nucléaire — ses dommages collatéraux, sa gestion par les militaires et les autorités — est admirablement mise en scène. Mais, d’un autre côté, la situation n’a guère besoin de Lefranc, qui accompagne les faits comme témoin : non comme acteur.
Cela dit, le récit se lit avec grand plaisir, et le lecteur ne peut que suivre Lefranc et les autres protagonistes dans leur recherche de la vérité. Le mystère le plus intéressant à percer reste le plus personnel : celui qui touche de près notre héros, Inès de la Cerna et sa fille Soledad, ainsi que le médecin. Cette deuxième histoire dans l’intrigue principale est passionnante à suivre, au rythme des découvertes et révélations.
Un album agréable, mais qui ne pouvait surpasser « Le Scandale Arès ». Retrouver Lefranc avec une telle équipe est toujours réjouissant.
(1) L’incident nucléaire entre un avion ravitailleur et un B52 transportant quatre bombes H a eu lieu le 17 janvier 1966 aux environs du village de Palomares, et en mer. Les autorités américaines se sont efforcées de nettoyer etdécontaminer en urgence — et de minimiser l’événement —, mais il a refroidi les relations entre les deux pays.
« Lefranc T35 : Bombes H sur Almeria » par Régric et Roger Seiter
Éditions Casterman (12,50 €) — EAN : 978-2-203-24154-1