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Jean-Christophe Chauzy : son violent combat contre la maladie…

04/03/2024
Par Gilles Ratier

Au début de l’année 2020, Jean-Christophe Chauzy, auteur depuis la fin des années 1980 (1) de remarqués et remarquables ouvrages en bandes dessinées, apprend qu’il est atteint de myélofibrose : affection rare et très grave, car sa moelle osseuse — qui héberge les cellules souches qui fabriquent notre sang — est devenue improductive. Son pronostic vital est engagé et le seul recours est une greffe. Chance inespérée, le sang de sa sœur Corinne est compatible à 100 % et elle sera sa donneuse. En avril, alors que le monde entier se confine, notre artiste, privé de toute défense immunitaire, est placé en chambre stérile… Ce bouleversant « Sang neuf » est le récit sans concession de ce combat pour la vie !

Toutefois, Jean-Christophe explique qu’il sera un combattant passif, terrassé par une guerre qu’il n’a pas déclarée : il espérait juste survivre… Non seulement sa moelle s’était asséchée, mais c’était toute son architecture qui s’était décalcifiée. Il a eu l’impression que son corps n’était plus réceptif : qu’il n’était qu’un mort-vivant qui allait rester cloîtré, pendant deux ans — à l’hôpital ou chez lui —, dans sa solitude d’homme malade face à sa propre mort !

Pourtant, c’est son corps, ses organes et les flux qui les parcourent, qui ont bataillé pour lui, insiste-t-il dans le livret de présentation de l’ouvrage réalisé pour la presse et les libraires : « Quand je suis entré à l’hôpital, mon degré de maladie était au stade le plus élevé… Les cellules souches de ma sœur sont arrivées dans une ville en ruines ! “La guerre a débuté, ma sœur, et te voilà désormais général en chef des armées.” Ses cellules ont non seulement trouvé leur place dans ce corps en chantier, mais elles ont aussi fait baisser le niveau de fibrose, et transformé un terrain dévasté en lieu habitable. Désormais, le sang qui circule en moi est à 100 % celui de ma sœur. Elle est entrée en moi et a reconfiguré une partie de mon corps… »

Le rôle de notre artiste n’est cependant pas si secondaire, car il a dû composer avec la lourdeur des soins, le découragement, la peur de mourir… Et puis, comment réussir, quand cela vous arrive, à être un mari, un père, un fils, ou un ami… alors qu’on ne se sent plus que l’ombre de soi-même ?

Aujourd’hui tiré d’affaire, l’auteur de la série « Le Reste du monde » (qui explore les grandes fractures de la société contemporaine et ses risques d’effondrement) témoigne donc, de façon crue et intense, de ces heures sombres, où il s’est quand même toujours accroché à l’espoir d’une guérison.

Essayant de traduire au mieux l’amplitude existentielle de ces moments d’incertitude absolue et de vie en suspens, le dessinateur-scénariste-coloriste a utilisé une narration très fluide et a décidé de travailler prioritairement avec un noir et blanc nuancé de gris et de rouge pour évoquer le sang ou la mort — et surtout l’intériorité —, à l’exception de sept pages finales — lesquelles laissent espérer une vie nouvelle — qui sont en couleurs.

Avec ce « Sang neuf », Jean-Christophe réalise, pour la première fois de sa carrière, une bande dessinée qui ne soit pas fictionnelle.

Pour ce faire, il a souvent eu recours à une certaine forme de fantaisie (au sens fantastique du terme), et le résultat est tout à fait remarquable.

Outre qu’il réussit parfaitement, sur 250 pages, à mettre des émotions et des sensations en images, sans jamais tomber dans le pathos (il y a même des pages d’autodérision, sortes de ruptures qui deviennent respirations), il donne, avec cet ouvrage, un vrai message d’espoir !

C’est également un vibrant hommage à toutes celles et ceux qui ont œuvré, avec générosité, à le remettre sur pieds : sa sœur Corinne en tête, évidemment, ainsi que tout le corps médical qui l’a soigné, bien entendu… mais aussi sa femme, ses enfants et ses parents qui ne l’ont jamais lâché et qui ont toujours cru en lui…

Gilles RATIER