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Lepage et Baudoin : au sommet de leur art ?

08/03/2024
Par Didier Quella-Guyot

Deux étoiles de la BD – qui « illustrent » à eux seuls deux conceptions graphique et narrative du 9^e art – ont été amenées à partir ensemble, en décembre 2021, au Chili. Edmond Baudoin et Emmanuel Lepage se connaissent bien, malgré les 25 ans qui les séparent, mais le voyage qu’ils nous proposent dans « Au pied des étoiles » est plus une autobiographie croisée qu’un carnet de voyage… à moins de considérer la vie comme un voyage, en soi et hors de soi !

Tout commence par le projet d’un professeur de physique de Grenoble d’origine chilienne qui tient à inviter deux auteurs de bande dessinée à aller voir les étoiles, là-bas, dans le désert d’Atacama, où on les observe savamment grâce à des télescopes géants. Ils ne sont pas les premiers auteurs de BD français à faire le voyage. Déjà, Pierre Christin et Olivier Balez s’y sont livrés et le racontaient dans « Sous le ciel d’Atacama » (publié chez Casterman, en 2010) : reportage suivi d’un fort dossier complémentaire d’une quarantaine de pages.
Baudoin et Lepage font autrement : ils commentent et se commentent. Ils racontent l’Histoire et leur histoire, leurs histoires, d’autant que l’un a été très malade et que l’autre n’est plus très jeune. Alors, les confidences fusent, les souvenirs, les aveux, les échanges, les doutes, l’amour, la mort, le sexe… On peut tout se dire quand on fait le même métier (avec réussite), mais qu’on ne le pratique pas de la même façon. On peut tout se dire, et pas seulement dans la vision qu’on a des étoiles ! D’ailleurs, Atacama est encore loin et Baudoin n’ira pas jusque-là : l’actualité l’en empêchera. En décembre 2021, le pays vote pour la présidentielle…

La première partie, où les deux auteurs sont ensemble, concernent Santiago, l’histoire du Chili (Allende, Pinochet, Neruda, Jara…) et les connaissances scientifiques sur les planètes, l’univers, l’infiniment grand … le tout dans un échange perpétuel de dessins et de planches. Tantôt Lepage dessine et raconte ; tantôt Baudoin peint et se lâche… Les compositions narratives de l’un, les constructions inventives de l’autre : tout est jaillissement sur plus de 250 pages. Leurs récits se croisent, s’additionnent en un savant mélange, les auteurs n’hésitant pas à évoquer leurs façons de dessiner, de dire, de montrer… : de transmettre, en un mot.

C’est donc sans Edmond qu’Emmanuel un peu plus tard atteint le désert d’Atacama et ses télescopes, tandis que, loin de là, dans le massif du Queyras, Baudoin se rend dans sa famille en songeant à Rimbaud. Grand écart thématique, mais toujours la même passion de transmettre, avec ou sans les étoiles, les pieds bien sur Terre, pour « entrer en soi et être une éponge » ; car, pour Lepage notamment, le croquis de voyage permet de « garder en mémoire les lieux et les émotions vécues au moment de sa création » (voir à ce sujet notre chronique sur « Carnets d’ailleurs »).