Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Rémy Bourlès : élégance et finesse du trait ! (seconde partie)
Suite et fin du dossier consacré au Brestois Rémy Bourlès qui abandonna le dessin de mode, où il excellait, pour la bande dessinée. Dans un premier temps, uniquement pour survivre sous l’Occupation, ensuite par passion. Ceci malgré un rythme infernal de travail, souvent peu compatible avec le désir de bien faire. Injustement oublié, comme bien d’autres créateurs de sa génération, Rémy Bourlès méritait bien ce nouveau chapitre de notre rubrique « Patrimoine ». Pour consulter la première partie, cliquez ici : Rémy Bourlès : élégance et finesse du trait ! (première partie).
De 1953 à 1956, il travaille pour l’hebdomadaire féminin La Vie en fleur, proposé par la Société européenne d’éditions familiales, filiale des éditions Mondiales. Il y publie de nombreuses illustrations et cinq longs romans sentimentaux adaptés en bandes dessinées, d’environ 70 pages aux dessins particulièrement soignés : « Le Visiteur sans visage » d’après Jean Miroir du n° 1 (1er trimestre 1953) au n° 13,
« Le Promeneur au clair de lune » d’après Claude Fleurange,
« Le Berger de Guadalupe » d’après Zane Gray, « Le Gouffre du lutin vert », enfin « La Sorcière du crépuscule » d’après Jean d’Astor en 1956.
En 1957, il est intégré à l’agence Mondial Presse, créée l’année précédente par Cino Del Duca.
Elle alimente en priorité en bandes dessinées Paris Journal, anciennement Franc-Tireur, le quotidien qu’il vient de racheter et qui se transforme en tabloïd sous le titre Paris Jour en 1959.
Il réalise trois adaptations de romans sous forme de strips avec le texte placé sous les images : « Le Monde perdu » d’après Arthur Conan Doyle en 96 bandes (1957-1958),
« L’Homme qui assassina » d’après Claude Farrère en 240 bandes (1960-1961) et « Le Lys dans la vallée » d’après Honoré de Balzac en 220 bandes (1961-1962). « L’Homme qui assassina » est proposé en un album au tirage limité par Regards en 2003 et « Le Monde perdu » par Apex en 1998.
De 1961 à 1971, il réalise une cinquantaine de récits à thèmes sentimentaux ou criminels.
Ces histoires, présentées en une trentaine de bandes verticales de trois dessins réalisées au lavis, sont inspirées des célèbres bandes publiées par France-Soir : « L’Affaire Gauchet », « La Complainte de Fualdès », « Le Mystère de Peytel », « Mélisende et Alix », « Marie de Chevreuse », « Calamity Jane », « Mayerling », « La Pompadour », « La Corsaire de François 1er », « Thérèse Humbert », « Sophie Arnould », « Agnès Sorel », « L’Affaire Lafarge », « Clara Schuman », « Lady Stanhop »…
Enfin, « Anne de Bretagne » est l’ultime histoire publiée, fin 1971, avant la disparition de Paris Jour l’année suivante.
Les textes placés sous les images sont signés Alain de Saint Sauvant, J. Wilmes, J. Vagenende, Monique Moncel, S. B. Desrone, L. Ache…
Cette série de bandes verticales est la dernière participation de Rémy Bourlès chez cet éditeur, avant son licenciement en 1972 par Del Duca, récemment disparu après 30 années de collaboration ininterrompue.
Un coup dur pour le dessinateur, qui perd les avantages sociaux liés à la carte de presse acquise après un long combat syndical.
Les années Vaillant
Bien qu’ayant des travaux réguliers pour les éditions Mondiales, qui lui permettent de faire vivre sa famille, Rémy Bourlès consacre une partie de son temps à un autre éditeur. Après le bouillant patron italien, les éditions Vaillants, inféodées au parti communiste français, accueillent dès 1946 le dessinateur, sur les conseils de son confrère Auguste Liquois.
Tout en réalisant quelques illustrations, il démarre avec « Bataille dans la mine » dans le n° 50 (21 février 1946). Ce récit en 11 pages évoque l’héroïsme d’un groupe de mineurs de charbon, prisonniers sous terre après une explosion. Ces pages seront réunies dans un fascicule de la Collection Vaillant.
On lui doit quelques courtes histoires : « Spartacus » (scénario de Jean Ollivier), « Le Secret de Krishna » (scénario de Roger Lécureux)…
 Dès le n° 61 (11 juillet 1946), il crée une série d’aviation récurrente : « Bob Mallard », avec le scénariste Henri E. Bourdens, lui-même pilote de longs courriers. Les aventures du blond et athlétique Bob Mallard commencent dès l’après-guerre, dans la zone d’occupation française en Allemagne, alors qu’il vient d’être nommé aspirant pilote.
Tour à tour pilote d’essai, capitaine dans une unité de parachutistes, acrobate aérien, pilote privé… le fringant Bob est inévitablement mêlé à des intrigues dramatiques en compagnie de divers comparses : Martin, Bouboule et plus tard Puchon, avec lequel il formera un duo inséparable. Pendant dix ans, Remy Bourlès anime les aventures de ce héros au fil d’une vingtaine d’épisodes, dont seulement trois sont repris dans les fascicules de Supplément Vaillant n° 7, 12 et 13. L’ultime aventure signée par le duo d’origine se termine dans le numéro 623 du 21 avril 1957.
C’est lui qui abandonne la série, estimant que son trait un peu vieillot fait pâle figure aux côtés d’une nouvelle génération de jeunes auteurs au meilleur de leur art : « J’ai quitté Vaillant à la suite de quelques réflexions désobligeantes. Je suis parti discrètement, poliment… Par la suite, j’ai regretté un personnage auquel je m’étais singulièrement attaché et qui était très populaire ». Des propos trop modestes, voire injustes, pour qualifier des pages soignées et fort documentées : « Henri Bourdens, pilote de son état, me fournissait croquis et documents techniques. Ceux-ci ne me dispensèrent pas de nombreuses visites à l’aéroport du Bourget afin d’aller respirer sur place la bonne odeur du cambouis et vibrer dans l’ambiance des ateliers et le contact fraternel des mécanos ».
Bob Mallard poursuivra ses vols au fil de nombreux épisodes imaginés par Jean Sani pour Francisco Hidalgo (1), puis André Chéret (1) qui signe en 1969 l’ultime épisode dans Pif-Gadget.Â
Trois épisodes complets inédits, dessinés par Rémy Bourlès, sont publiés dans le poche 34 Caméra en 1949 et 1950. Les éditions Taupinambour proposent une version intégrale au tirage limité en six volumes des pages dessinées par Rémy Bourlès, en 2016 et 2017.
Toujours pour les éditions Vaillant, il dessine « Solweij, petite fleur des neiges » dans l’hebdomadaire éphémère Vaillante en 1947. Dimanche fillette réédite « Bob Mallard » en 1949 et 1950.    Â
De Mon journal à Mon journal
Comme nous l’avons vu plus haut, au cours de ses nombreuses démarches effectuées en 1946, Rémy Bourlès est embauché par Bernadette Ratier : fondatrice de l’hebdomadaire Mon journal.
Fort occupé par ailleurs, il ne souffre pas de l’arrêt du journal au n° 86 en avril 1948.
C’est au sein des éditions Aventures et voyages, alors spécialisées dans les formats de poche, qu’il retrouve Bernadette Ratier au début des années 1960.
Les revues destinées aux enfants ayant pour obligation de réserver une place estimée au quart de leur pagination à des rubriques éducatives, Bernadette Ratier propose des textes didactiques historiques, scientifiques, géographiques…
Afin d’en rendre la lecture plus sympathique, elle demande à une équipe d’illustrateurs de les agrémenter de quelques dessins : Claude-Henri (1), Jean Joly, Joré, Patrice Sanahujas… et Remy Bourlès.
Entre 1961 et le milieu des années 1980, il illustre des centaines de textes dans Akim, Captain Swing, Mister No, Lancelot, Ivanhoé, Route de l’Ouest, Brik, Long Rifle, Yataca, Pirates, Bengali, El Bravo, Marco Polo, Shirley, Rocambole, Apaches, Atemi, Safari…
On lui doit aussi des planches illustrées à thèmes : « L’Histoire de la marine », puis « Navires et marins » dans Brik en 1972, « Les Jeux olympiques de Munich » en 1972, « La Fantastique histoire du Far-West » dans Pistes sauvages en 1973, « Les Sciences en images » dans Capt’ain Swing en 1975, « La Ronde des instruments de musique », enfin « La Parade des uniformes » en 1977 dans Akim…
Toujours pour les poches d’Aventures et voyages, on lui confie la mise en images de bandes dessinées qu’il réalise avec le même sérieux, malgré les supports populaires chichement rétribués que sont les pockets.
En 1963, il succède à la dessinatrice italienne Lina Buffolente, qui animait « Mousqueton » : personnage fétiche des éditions Aventures et voyages.
Le premier épisode, dont le scénario est signé Pierre Castex, est publié dans le n° 4 du trimestriel En garde !, daté de juin 1963.
Fils du prince Traven, injustement condamné à mort, adopté par le capitaine Brochard, le jeune Mousqueton devient un agent secret des Révolutionnaires et plus particulièrement de Robespierre.
De longs épisodes sont publiés par En garde ! jusqu’au n° 10, puis dans Totem.
Une réédition à  tirage limité a été proposée en 2012 par les éditions Regards.
En mars 1964, il est présent dans le premier numéro de Rocambole avec « Richard le bien aimé ». Vers l’an 1200, sous le règne d’Auguste de Bretagne, le chevalier Richard et son écuyer Fracassar parcourent les terres féodales venant en aide aux pauvres. Une série de récits de 35 pages au scénariste anonyme, qui prend fin dans le n° 9 de Rocambole.
Enfin, dans les n° 33 (février 1969) à 35 (août 1969) du trimestriel Pirates, il réalise une superbe adaptation des « Mystères de Londres », d’après le roman de Paul Féval. Les 197 pages de ce récit ont été réunies dans un mini album de la collection BD poche des éditions Glénat en 1977.
Au cours de ces années difficiles pour les dessinateurs de sa génération, il travaille pour O. LO. LE : journal bretonnant animé par Janny Corlay et Henri Caouissin. Le salaire est dérisoire, mais son travail demeure parfait. Il signe de courtes BD, illustre des textes et des couvertures, du n° 1 en 1970 au n° 17 et dernier en 1972.
En 1975, il livre « La Légende d’Olivier de Mordret » : une histoire de chevalerie pour le mensuel de poche Agent spécial n° 67, édité par S.E.P.P.
Au milieu des années 1980, Bernadette Ratier vend les éditions Aventures et Voyages qui, avec le nouveau propriétaire, sombreront rapidement dans la médiocrité. Rémy Bourlès prend alors une retraite bien méritée.    Â
À l’automne 1986, publication du « Félon de Miremont » : un modeste album destiné à l’origine aux défuntes éditions Prifo. Ce récit écrit par Jean-Paul Tibéri est un supplément au magazine Haga qui sera réédité d’une part par l’association Regards de Tibéri en 2010, et d’autre part chez Bulles O en 2020.
C’est grâce à Jean Paul Tiberi qu’il fréquente les salons de bande dessinée et rencontre ses vieux lecteurs : « Dans une ambiance très chaleureuse, avec plaisir et un peu d’étonnement, j’ai pu discuter avec mes lecteurs d’hier et d’aujourd’hui. On me tend des micros, on écrit sur ma carrière, on me photographie. Je n’ai jamais eu droit à  autant de publicité. »
Après avoir participé au magazine breton L’Appel d’O Lo Lê, il consacre sa retraite à la peinture.
Une peinture expressionniste classique, principalement consacrée à la Bretagne : ses fermes, ses paysages campagnards, ses vieux monuments, mais aussi aux costumes traditionnels de son folklore.
Il décède à Paris le 12 juin 1997, à l’âge de 92 ans.
Discret et modeste, comme la plupart des dessinateurs de sa génération, Rémy Bourlès laisse une œuvre importante, tant au niveau de la quantité que de la qualité. « Bob Mallard », « L’Insaisissable » et bien d’autres créations mériteraient d’être exhumées.
Les revues Hop ! n° 45 (janvier 1989) et Haga n° 24 (printemps 1976) ont publié les deux seuls entretiens connus avec Rémy Bourlès. Jean-Paul Tibéri lui a dédié un ouvrage en 2011, édité par Regards et les microéditions Le Taupinambour.
Henri FILIPPINIÂ
Relecture, corrections, rajouts, compléments d’information et mise en pages : Gilles RATIER
Merci à Philippe Tomblaine, Fred Fabre, Jean-Luc Muller et Gwenaël Jacquet pour leurs divers coups de main.
(1) Pour en savoir plus sur certains autres dessinateurs cités dans cet article, voir : Le photographe Francisco Hidalgo était aussi dessinateur de bandes dessinées…, Disparition d’André Chéret…, Claude-Henri Juillard : l’élégance du trait… (première partie) et Claude-Henri Juillard : l’élégance du trait… (deuxième et dernière partie)…