Charles Masson, touchant et poétique, dans « Sept Vies à vivre » !

Le médecin oto-rhino-laryngologiste et auteur de bandes dessinées Charles Masson (1), toujours sensible aux destinées des plus humbles — ceux qu’il appelle « ceux qui n’ont rien » ou encore « les gens de rien » —, nous raconte le sort de René : un Savoyard qui réside en reclus dans le massif inhospitalier des Bauges où il est né, habitant avec ses parents qui ont donné naissance à neuf enfants, dont il est le cadet. À la suite de la perte de sept de ses frères et sœurs en bas âge — on n’avait, alors, pas su les soigner —, il va ressentir le besoin profond de vivre pleinement une vie pour chacun d’entre eux. Un récit aussi délicat qu’altruiste qui balaye le XXe siècle avec malice et sincérité, enluminé par un beau graphisme à l’ancienne : dans la lignée d’un Pinchon ou d’un Rabier !

Lorsque la Seconde Guerre mondiale est déclarée, en 1939, René à 13 ans. Il quitte l’école avant de décrocher son certificat d’études : il sait lire et compter, cela lui suffit ! Lui, il est robuste et, en véritable homme des bois, ce qu’il aime le plus, c’est la nature. Et puis, après avoir vu partir sa fratrie, il veut désormais vivre pour sept, en leur honneur… Pourtant, l’existence dans ce massif des Préalpes françaises, situé à cheval sur les départements de la Savoie et de la Haute-Savoie et où sa famille s’est installée au début du siècle, n’est guère facile : il faut survivre sans électricité, sans eau courante, et sans médecins non plus…

Si les soldats allemands ne pas encore monté dans les montagnes, les réfugiés (qu’ils soient juifs, communistes ou résistants maquisards) y ont migré pour lutter contre l’oppression nazie. C’est alors qu’en avril 1944, il rencontre Céline, venue réviser la deuxième partie de son bachot pendant les vacances, loin de la guerre. Ils vont se taper mutuellement dans l’œil… et passer ensemble des jours heureux : seulement, voilà, Céline est fiancée et va se marier bientôt. 

Avec l’arrivée de la Quatrième République, René, qui a maintenant 19 ans, va partir au service militaire au Maroc dans un régiment de spahis : une longue année loin des siens. Blessé en plein désert par un véhicule qui le heurte et lui roule sur un pied, il restera trois mois dans un hôpital sous tutelle des armées pour se faire soigner, puis sera rapatrié en France. C’est là qu’il tombe sur Céline, devenu infirmière : ils sont très heureux de se revoir, mais la jolie jeune fille doit accomplir son devoir conjugal, suspendue aux lettres de son mari qui n’envisage pour elle que le rôle d’une femme au foyer s’occupant de leurs futurs enfants.

À son retour à la ferme familiale, René — désormais boiteux — découvre sa toute petite sœur qui ne l’a jamais connu et qui l’adoptera sur-le-champ, puis se fait embaucher à la tannerie voisine de trois kilomètres de chez ses parents. Il y ira en solex… Du deuil de ses proches aux retrouvailles avec son amour de jeunesse, les multiples facettes de la vie de René mêlent plusieurs drames à la simplicité d’une existence dévouée aux autres. Traversant les épreuves avec enthousiasme, il lui arrivera aussi, parfois, de se confier et de parler à ses chers disparus, lesquels ont pris la forme de petits fantômes qui lui tiennent compagnie.

Mine de rien, on se laisse complètement embarquer par le récit du destin rural de ces vraies gens, un peu bourrus, mais tellement attentionnés, tout en compatissant avec la misère environnante. Il faut dire que la narration de Charles Masson est d’une fluidité exemplaire, à la manière de sa ligne claire graphique adoptée ici. Ce qui ne l’empêche pas de découper habilement ses pages, en n’alignant pas toujours les cases : il sort ainsi des principes hergéens, mais revient aux sources en s’approchant des expériences d’Émile Joseph Porphyre Pinchon (« Bécassine ») ou de Benjamin Rabier (« Gédéon le canard »)…

Gilles RATIER

(1)  Sur Charles Masson voir sur BDzoom.com : « Les Gens de rien T1 : Jusqu’au printemps » : toutes les saisons pour espérer…, « La Dernière Femme » par Charles Masson, « L’Arche de Noé a flashé sur vous »,Charles Masson, lauréat du Prix Sid Ali Melouah 2009, avec « Droit du Sol », PLUS DE LECTURES DE BD DU 16 MARS 2009, PLUS DE LECTURES DU 24 OCTOBRE 2005, Soupe froide de Charles Masson…

« Sept Vies à vivre » par Charles Masson

Éditions Delcourt (27,95 €) — EAN : 9 782 413 07706 0

Parution 21 février 2024

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5 réponses à Charles Masson, touchant et poétique, dans « Sept Vies à vivre » !

  1. PATYDOC dit :

    « Le médecin oto-rhino-laryngologiste et auteur de bandes dessinées Charles Masson, toujours sensible aux destinées des plus humbles » : je ne suis pas sûr que nos compatriotes mahorais appréciassent cette sensibilité, exercée au service des barbares qui sévissent dans leur ile (« Droit du sol », Casterman, 2009).

    • Gilles Ratier dit :

      Hum… Patydoc !
      Toujours prêt à jouer le rôle du troll de service (Rires !) !
      Juste pour vous contredire, ce message de tweeter (X) des éditions Casterman relayé par Benoît Peeters au sujet de Charles Masson : https://twitter.com/CastermanBD/status/1759566119617036305 Un témoignage plus que jamais nécessaire qui fait écho à l’actualité politique : DROIT DU SOL de Charles Masson est toujours en librairie.
      Le récit d’un naufrage, au large de Mayotte, d’une barque chargée de clandestins venus chercher fortune sur l’île française de l’océan Indien…
      Bien cordialement
      La rédaction

      • Gilles Ratier dit :

        Lisez aussi le résumé de ce livre (que vous avez manifestement mal lu, ou peut-être pas lu du tout) dans ma chronique à l’époque de sa sortie : https://www.bdzoom.com/5864/bd-de-la-semaine/plus-de-lectures-de-bd-du-16-mars-2009/...
        Bien cordialement
        Gilles Ratier

        • PATYDOC dit :

          M. Ratier, j’ai bien acheté et lu cette BD quand elle est sortie (couverture blanche), sans doute suite à votre article (de plus, j’ajoute que te travaille un peu avec Mayotte). Cette BD est bien rangée avec les autres Casterman de cette collection dans ma bibliothèque ! :-) . Ce que j’ai écrit ci-dessus, c’est qu’il y a ce qui se voit (les bons sentiments de l’autosatisfait Docteur Masson), et ce qui ne se voit pas (la barbarie qui sévit dans l’ile suite à l’immigration de masse). Comme l’a déclaré la députée Youssouffa  » nous aussi Mahorais nous sommes pauvres et humbles, mais nous n’agressons pas les autres pour autant « .

          • Gilles Ratier dit :

            Bonjour Patydoc !
            Il aurait fallu vous exprimer plus clairement, alors ! Et ce n’est pas la peine, non plus, de traiter l’auteur d’autosatisfait, car cela ne fait pas avancer le débat et, en plus, vous savez pourtant pertinemment que nous ne tolérons pas les insultes et les agressions (car cela peut être pris comme cela) sur notre site…
            Merci d’en rester là sur ce sujet !
            Bien cordialement

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