Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...De drôles d’histoires au cœur des maisons…
C’est une incroyable charge que de devoir vider – en triant ce qu’elle contient – une maison, dont on hérite. C’est plus simple quand on ne connait pas les anciens propriétaires. C’est ce qui arrive à Élise qui achète pour pas cher une maison, pour fuir Paris et s’y installer avec son fils. Elle appelle en renfort ses parents pour l’aider à faire le vide…
Élise quitte la capitale (et son emploi) sur un coup de tête. Elle achète sans l’avoir visitée un cinq pièces de plain-pied, situé à la campagne, sachant par contrat qu’elle doit en assurer le « débarras ».  Elle découvre ainsi, en y arrivant, les pièces remplies de meubles, surchargées d’objets, et des tapisseries et décorations d’un autre temps : un univers qui ne lui ressemble évidemment pas. Et tout est à refaire… Ce que constatera son père, Philippe, avec son instinct de bricoleur. Quant à sa mère, elle est du genre à vouloir garder beaucoup de choses !
Le problème c’est que toute maison est à sa façon le portrait de ses propriétaires et que se dessine, ici, à travers les tableaux, des lettres, les photos, la personnalité d’un inconnu. Qui était-il ? Que faisait-il ? De pièce en pièce, d’objet en objet, l’homme se précise : coureur de jupons ? Peintre ? Voyageur ? Chasseur de fauves ? Collectionneur ? Chacun y va de son interprétation ; le lecteur découvrant, lui, au fil de flash-backs ce qu’a vraiment vécu l’ancien occupant des lieux.
Comme dans ses précédents titres, Simon Lamouret prend un immense plaisir à montrer, à détailler les décors, à travaillant les couleurs jusqu’à l’obsession, jusqu’à la saturation qui oblige le lecteur à s’arrêter, à contempler et, ainsi à reconstruire le monde qu’il met en scène, travaillant notamment les rapports familiaux qu’entretiennent les parents, Élise et son fils et les états d’âme que ce séjour occasionne. Au total, plus de 230 planches et trois ans de travail pour l’auteur !
Il faut noter que ce thème du déblayage, Lamouret l’avait d’une certaine façon déjà évoqué dans « L’Alcazar » (chez Sarbacane également, en 2020) où il s’agissait de nettoyer un terrain vague où devait s’élever un immeuble de plusieurs étages, l’occasion pour Lamouret d’observer des jours durant un chantier et les difficultés, les rêves, les souffrances de manœuvres exploités, endettés, en Inde.
Avant « L’Alcazar », l’auteur fin connaisseur de la vie indienne, avait d’ailleurs signé en 2017 « Bangalore » (réédité chez Sarbacane en 2021, en couleurs), sorte de reportage sur l’une des grandes villes du sud de l’Inde devenue en quelques décennies une étourdissante cité multiculturelle de neuf millions d’habitants. Simon Lamouret y saisissait de multiples saynètes typiquement indiennes, restituant fidèlement ce qu’on pourrait appeler des « tranches de rues ». Voir sur cet album notre chronique ici-même.
Pour conclure sur le thème de la maison, signalons l’album « Deux SÅ“urs », signé Bruno Duhamel et Isabelle Sivan chez Grand Angle : un voyage au cÅ“ur d’une maison habitée par deux femmes que tout oppose – l’une est enseignante, l’autre dans le business -, et qui ont divisé leur maison en deux parties symétriques. L’album donne à voir les intérieurs : l’un, riche en livres et en amis, pour Camille la musicienne ; l’autre, moderne et bien rangé, pour Lise la sportive. Elles vivent en parallèle jusqu’au jour où le notaire les informe que le propriétaire vend la maison et qu’elles doivent s’entendre pour l’acheter ! C’est à la fois caricatural, dynamique, pittoresque, et plaisant à découvrir.
Didier QUELLA-GUYOT
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« L’Homme miroir » par Simon Lamouret
Editions Sarbacane (29, 90 €) – EAN : 9782377318162
Parution 7 février 2024
« Deux sœurs » par Bruno Duhamel et Isabelle Sivan
Editions Grand Angle (16,90 €) – EAN : 9792818999685
Parution 17 janvier 2024