Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Magistrale adaptation de l’un des chefs-d’œuvre de Simenon par Yslaire et Fromental !
Quand Jean-Luc Fromental (1) demande au dessinateur de « Sambre » d’adapter ensemble l’un des romans durs de Simenon pour la nouvelle collection chez Dargaud où ils sont transformés en bandes dessinées et qu’il dirige avec son camarade José-Louis Bocquet, Yslaire (2) est tout de suite d’accord sur le principe, mais préfère s’attaquer à un autre titre que celui proposé : il veut quelque chose de plus dense et de plus conséquent ! Alors, le coscénariste du dernier Blake et Mortimer lui soumet « La Neige était sale » : une œuvre particulièrement noire écrite par le célèbre créateur du commissaire Maigret pendant sa période américaine (en 1948). C’est certainement son plus grand roman existentialiste, le principal personnage recherchant, dans sa déchéance volontaire, une forme de rédemption, de grâce absolue…
Pendant l’occupation d’un pays jamais nommé, Frank Friedmaier vit dans une oisiveté dorée, chez sa mère qui est la tenancière d’une maison close. Il fait l’amour avec les prostituées que cette dernière emploie ou les épie par le vasistas de la cuisine quand elles sont avec les clients. Fréquentant toutes sortes d’individus plus ou moins louches, c’est au bar-restaurant de Timo que Frank fait la connaissance de Fred Kromer. Sous l’influence de ce voyou de trois ans son aîné, il volera et tuera une vieille femme qu’il connaît depuis l’enfance, sans raison matérielle ni patriotique. Notre petit malfrat de 17 ans va ainsi descendre, une à une, les marches de l’ignominie, plongeant dans un avilissement que seule éclaire l’image idéalisée de Sissy : sa chaste voisine, éperdument amoureuse de lui, qu’il va finir par trahir.
Adapté pour le théâtre en 1950, par Georges Simenon lui-même et Frédéric Dard, et pour le cinéma en 1952, avec dans les deux cas Daniel Gélin dans le rôle de Frank, ce roman décrit bien l’ambiance froide, pesante et sale, encore très fraîche dans les mémoires au moment de son écriture, de l’Occupation allemande. Georges Simenon, en grand écrivain, nous plonge d’emblée dans un milieu sombre et palpable en quelques phrases simples – sobres sans être simplistes — que s’approprient judicieusement Fromental dans son découpage narratif. On a vraiment l’impression d’y être. D’autant plus que cette étude psychologique particulièrement poussée d’une crapule, complexe et insaisissable, est tout à fait remarquable, non seulement par le caractère de ses protagonistes, mais également par son atmosphère inquiétante et quasi kafkaïenne que retranscrivent admirablement la mise en images et la colorisation en bichromie — à dominante rougeâtre et grise — d’Yslaire.
Décidément, après l’entrée en matière réussie du « Passager du Polarlys » par Christian Cailleaux et José-Louis Bocquet, on peut dire, sans trop s’avancer, que cette collection consacrée aux romans noirs de Simenon s’annonce sous les meilleurs augures… et nul doute que les prochains, qui seront illustrés par Laureline Mattiussi ou Javi Rey, seront aussi magistraux que les deux premiers !
(1)  Sur Jean-Luc Fromental, voir aussi sur BDzoom.com : Jean-Luc Fromental fête Denoël… Graphic !, « L’Art de la guerre : une aventure de Blake et Mortimer à New York » : comment vaincre sans périls…, « Blake et Mortimer » : huit heures qui pourraient bien changer le monde…, « Une romance anglaise » : quand Miles Hyman et Jean-Luc Fromental racontent l’affaire Profumo…, Quand Simenon passait « De l’autre côté de la frontière »…, « Le Coup de Prague » par Miles Hyman et Jean-Luc Fromental, « Loulou l’incroyable secret » par Grégoire Solotareff et Jean-Luc Fromental…
(2)  Sur Yslaire, voir aussi sur BDzoom.com : « Mademoiselle Baudelaire » : le nouveau chef-d’œuvre d’Yslaire !, « Cahiers Baudelaire 3 » : sublime Yslaire !, Yslaire : premier « Cahier Baudelaire » !, « Sambre T8 : Celle que mes yeux ne voient pas… » par Yslaire, « Sambre T7 : Fleur de pavé » par Bernard Yslaire, « Sambre T1 : Plus ne m’est rien… » par Yslaire et Balac : analyse de planche, Yslaire, de la planche à l’écran…, « La Guerre des Sambre : Maxime & Constance T1 : Automne 1775 » par Marc-Antoine Boidin et Yslaire, Úropa par iSlaire…
(3)  Voir sur BDzoom.com : « Le Passager du Polarlys » : du Simenon dans le dur !.
« La Neige était sale » par Bernard Yslaire et Jean-Luc Fromental, d’après Georges SimenonÂ
Éditions Dargaud Benelux (23,50 €) — EAN : 9 782 5051 1580 9
Merci Gilles.