Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Les Illuminés » : l’illumination d’un incontournable de l’année !
Ce fascinant livre de 140 pages sur les relations entre les trois célèbres poètes que sont Arthur Rimbaud, Paul Verlaine et Germain Nouveau — et sur l’ultime manuscrit du premier qui va circuler de main en main et qui semble leur brûler les doigts — est, pour nous, l’un des meilleurs albums de bande dessinée de l’année ! Certes, nous ne l’avions pas encore vraiment chroniqué (1), mais nous remédions à cette lacune aujourd’hui… Profitons-en pour vous donner, à la suite de cet article, notre liste — tout à fait subjective et personnelle — de nos dix autres BD de 2023 à ne pas manquer : à offrir ou à se faire offrir !
« Les Illuminés » est un magnifique album qui fait donc référence aux « Illuminations » (recueil de poèmes en prose ou en vers composés par Rimbaud entre 1872 et 1875, et publié partiellement plus de dix ans après), mais nous parle surtout de la façon dont les trois écrivains étaient perçus par la société. Ces trois solitudes se tournent autour, se cherchent, se fuient, s’enivrent… Ils tentent d’être libres, tout en s’acharnant a contrario à ne pas l’être !
Germain Nouveau déambule dans les rues de Paris. Il s’attarde sur la devanture d’une librairie et se fait aguicher, à la fenêtre du premier étage, par une dame de petite vertu qui lui demande s’il ne voudrait pas plutôt effeuiller autre chose que les pages d’un livre. Préférant poursuivre son chemin, il rejoint son ami Paul Cézanne dans un bistrot où on lui commande une absinthe pour tenir compagnie à d’autres artistes qui ont déjà pris de l’avance. Le peintre le présente comme un poète qui amène le chant des cigales, puisqu’il est né en Provence (comme lui), monté à la capitale pour faire ses armes. Au fur et à mesure de la conversation, il va vite être question de leur camarade Verlaine qui a quitté Paris pour voyager avec Rimbaud, ayant « planté sa femme et son gosse pour ce… cet inverti ! »
Simultanément, dans la partie basse de ces premières pages — les couleurs utilisées passant de la sépia au gris vert —, on suit le parcours de Rimbaud et Verlaine qui arrivent en Angleterre — après une halte à Bruxelles — et prennent le train, direction Londres ! Arthur déclame des vers et confie à Paul qu’il a, parfois, l’impression de se faire traverser par des tourbillons de mots qui semblent précéder ses visions et qu’il voudrait ne plus avoir peur de les voir plus libres et plus fougueux. Quant à Paul, il rétorque qu’il préfère les polir et qu’il ne pourrait pas les laisser trop s’émanciper, pour finir par demander à son compagnon de voyage ce qu’il pense de ses poèmes.
L’idée de cette riche et étonnante bande dessinée est de croiser les trajectoires chaotiques de ces trois protagonistes maudits et de juxtaposer une double — voire triple — narration sur une même page, tout en étant pourtant parfaitement lisible : et c’est une véritable réussite ! Il ne vous reste plus, alors, qu’à vous laisser porter par les mots, par les scènes polyphoniques et par les superbes dessins (totalement au service du scénario, en changeant de couleurs suivant ce qui est raconté), jusqu’à la montagne Sainte-Victoire chère à Cézanne, en passant par Paris, Bruxelles, Londres, Charleville, l’Italie et l’Égypte.
Que ce soient par les images de Jean Dytar (1) — qui accompagnent les destins de nos « illuminés » — ou par les textes fins et pudiques de Laurent-Frédéric Bollée (2), c’est l’ensemble de ces 140 magnifiques pages qui se fait ainsi poésie.
(1) Notre collaborateur Philippe Tomblaine l’avait quand même signalé dans un article présentant divers albums à paraître ; voir : L’automne 2023, au-delà des couvertures….
(2) Sur Jean Dytar, voir aussi sur BDzoom.com : Et pour quelques albums sortis en 2021 de plus…, Mise en abyme jouissive pour les cinq sens dans un Louvre inhabituel…, « Florida » par Jean Dytar, « La Vision de Bacchus » exposée à Blois, Entretien avec Jean Dytar, auteur de « La Vision de Bacchus » et « Le Sourire des marionnettes », « La Vision de Bacchus » par Jean Dytar…
(3) Sur Laurent-Frédéric Bollée, voir aussi parmi les articles récents de BDzoom.com : Le retour de Lady S : mourir peut attendre ?, « Lapérouse 64 » : ne perdez plus La Boussole dans le Pacifique !, Inventer l’Australie !, D’Hérophile à Vésale, mêmes combats ?, Horreur boréale pour Bruno Brazil !, « Patrick Dewaere… » : préparer ses mouchoirs ou se souvenir des belles choses ? Les deux, et plus…, Mission vers Mars, une machination diabolique : entretien avec Philippe Aymond et Laurent-Frédéric Bollée…, Son nom est Bombe : Alcante, Bollée et Rodier racontent une histoire explosive !, « ApocalypseMania » : intégrales des 2 cycles, Aymond & Bollée avant « Bruno Brazil »…, « Terra Doloris » par Philippe Nicloux et Laurent-Frédéric Bollée…
« Les Illuminés » par Jean Dytar et Laurent-Frédéric Bollée
Éditions Delcourt (29,95 €) — EAN : 978-2-413042556
Les dix autres meilleures bandes dessinées de l’année pour le rédacteur en chef de BDzoom.com
Évidemment, ce sont uniquement mes goûts personnels qui ressortent dans cette liste, puisqu’il s’agit d’une sélection de mes propres chroniques de 2023 (cliquer sur les liens proposés pour les lire ou relire) : des choix — forcément limités, mais sur quand même plusieurs centaines de titres lus — que, bien entendu, j’assume entièrement.
Bonnes découvertes et partage du plaisir de lectures, si vous ne vous êtes pas encore procuré ces ouvrages, donc à mon avis indispensables, présentés par ordre alphabétique de titres…
« Au cœur des solitudes » par Lomig, éditions Sarbacane : Dans « Au cœur des solitudes », Lomig célèbre la nature, en évoquant l’action pionnière de John Muir…
« Ceux qui me touchent » par Laurent Bonneau et Damien Marie, éditions Grand Angle : Laurent Bonneau et Damien Marie font partie de « Ceux qui me touchent » !
« La Femme à l’étoile » par Anthony Pastor, éditions Casterman : « La Femme à l’étoile » : violence, amour et rédemption dans l’Ouest sauvage…
« Je suis leur silence : un polar à Barcelone » par Jordi Lafebre, éditions Dargaud Benelux : Jordi Lafebre nous enchante avec une BD entre comédie et polar catalan !
« Loire » par Étienne Davodeau, éditions Futuropolis : Dans « Loire », la nouvelle fiction de Davodeau, le personnage principal c’est le fleuve lui-même…
« Maltempo » par Alfred, éditions Delcourt : Alfred clôt en beauté sa trilogie italienne avec « Maltempo » !
« Musée » par Christophe Chabouté, éditions Vents d’Ouest : Chabouté fait parler les œuvres du musée d’Orsay : séquence émotion !
« L’Ombre des Lumières T1 : L’Ennemi du genre humain » par Richard Guérineau et Alain Ayroles, éditions Delcourt : Ayroles et Guérineau dévoilent les ombres qui planent sur le siècle des Lumières…
« L’Université des chèvres » par Christian Lax, éditions Futuropolis : L’ultime bande dessinée de Christian Lax ?
« La Vie secrète des écrivains » par Miles Hyman, d’après Guillaume Musso, éditions Calmann-Lévy : Fidèle et lumineuse mise en BD de l’un des best-sellers de Guillaume Musso par Miles Hyman !