Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Une incroyable Robinsonne !
« La Brute et le divin » : sous ce titre énigmatique se cache un album aux thématiques environnementales, évoquées à travers le séjour étonnant d’une jeune femme sur île minuscule et déserte : une île au cœur du Pacifique Sud, dont les profondeurs cachent un écosystème magnifique ; ce que souligne, d’emblée, la très belle couverture…
Éva – un prénom comme un programme – ne supporte plus son emploi d’ingénieure au cœur de son entreprise. Pour éviter le burn-out ou pour le soigner, elle accepte un poste sur un ilot perdu, avec la mission d’y réparer une station météorologique et y tester la vie en autarcie en Robinsonne. Seule ? Pas tout à fait, elle a pour compagnon sa petite chienne.
Dans un premier temps, le séjour est paradisiaque, ce que les couleurs de Léonard Chemineau soulignent à la perfection : les verdures, les fleurs ou l’univers aquatique, tout est beau : autant pour l’héroïne que pour le lecteur. Elle s’installe, non sans une évidente naïveté, et puis tout se complique. Cette extrême solitude, dont elle a tant rêvé, n’arrange rien. Malgré sa ténacité, quand le contact satellite avec son employeur tombe en panne, Éva n’est pas loin de craquer.
C’est alors, qu’avec l’arrivée d’un bateau d’exploration, surgit le deuxième volet du récit. Le « divin » va céder place à la « brute » ! L’équipage n’est en effet pas là pour protéger quoi que ce soit, mais pour étudier des couches géologiques sous-marines et dénicher des gisements de roches rares. Le dialogue est alors difficile entre Éva et les responsables de l’équipage, au point que les relations s’enveniment…
Bien qu’on ait un peu de mal à comprendre pourquoi l’héroïne accepte tant de sacrifices (comme financer seule un tel séjour dans de telles conditions), « La Brute et le divin » constitue un voyage magnifique et une interrogation essentielle sur ce à quoi l’homme et la société de consommation soumet la nature… Après « Julio Popper : le dernier roi de Terre de Feu » (voir : « Julio Popper, le dernier roi de Terre de Feu » par Léonard Chemineau et Matz), « Edmond » ou « La Bibliomule de Cordoue » (sur scénario de Lupano ; voir : Chronique historique ? Fable ? Road movie ? « La Bibliomule de Cordoue », c’est tout ça à la fois !), Léonard Chemineau réussit un récit en solitaire sur une héroïne idéaliste et… très solitaire.
Didier QUELLA-GUYOT
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« La Brute et le divin » par Léonard Chemineau
Éditions Rue de Sèvres (22 €) – EAN : 9782810201068
Parution 22 novembre 2023
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