Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Druuna au commencement » : Demetra…
Dès ses premiers pas en 1985, dans les pages de Charlie mensuel (nouvelle formule), la voluptueuse Druuna fait l’unanimité auprès des nombreux amateurs de bandes dessinées érotiques… et des autres. La qualité des albums permet à la série de résister à la chasse aux sorcières provoquée par les lois Pasqua visant les ouvrages sulfureux, lesquels disparaissent rapidement des librairies. Près de 30 ans plus tard, toujours en forme et en formes, la sculpturale Druuna nous revient dans une trilogie (le premier tome est sorti en février 2022) dont l’ambition est d’évoquer la genèse du personnage (1).
Il y a plus de trois siècles — à l’ère de la grande catastrophe sur Terre —, 97 % de la population a disparu en raisonde la pollution, des guerres et des pandémies. Au sein d’Arka City, mégapole construite sur trois niveaux, Demetra (capitaine dans l’armée) est condamnée à la récolte des holothuries qui constituent l’unique source de nourriture. Alpha, l’intelligence artificielle qui règne — avec ses prêtres — sur la cité, l’accuse d’avoir pour amant un dénommé Luke, lequel est considéré comme un dangereux criminel. Après avoir été mordue par un poisson mutant, la jeune femme devient à son tour une mutante, tandis que sa fille Hope — âgée de cinq ans — s’envole pour l’Arche. Le troisième et dernier volume conduira le lecteur jusqu’au début de « Morbus Gravis » : l’épisode fondateur de la série.
Dans ce volume, Druuna apprend l’histoire de Demetra, sa lointaine ancêtre, contée par un étrange dieu de la connaissance : en fait un programme artificiel appelé Teseus, conçu par ceux qui ont programmé Alpha, l’ordinateur qui exploite et gère la ville. Accompagnée par le nain Polydore, Druuna fait route vers une dimension inconnue (le septième cercle), où elle trouvera l’essence de Demetra : son ancêtre…
Marco Cannavò — directeur artistique d’expositions, journaliste, scénariste de « Crom » et de « Dylan Dog » — succède à Alessio Schreiner : l’auteur du premier épisode de ce triptyque. Eon (Joseph Viglioglia) en était le — prometteur — dessinateur, mais, curieusement, ce sont deux autres dessinateurs qui assurent la mise en images de ce second récit : Andrea Senio Lula (auteur de « Gauloises » chez Futuropolis), qui anime la partie classique en couleurs, dans un style inspiré par Serpieri, et Corrado Roi, qui dessine — plus librement — la séquence consacrée à Demetra. Si Eon et Lula demeurent fidèles au trait originel, Corrado Roi, quant à lui, dessinateur emblématique de « Dylan Dog » et du récent « Dracula » chez Scarabeo, propose des pages sublimes en noir et blanc. Les séquences érotiques, voire plus, sont nombreuses tout au long de ce récit à propos duquel Serpieri écrit dans son avant-propos : « Le résultat final m’a beaucoup plu, et je suis sûr que vous aussi apprécierez le travail réalisé pour cette nouvelle aventure. »
Une reprise fait rarement l’unanimité, et c’est le cas pour cet album ! Les inconditionnels du créateur seront déçus de ne pas retrouver la maîtrise graphique de Serpieri. En revanche, ceux qui apprécient de renouer avec un personnage qu’ils ont apprécié ne seront pas dépaysés par cette reprise de bonne tenue, sans jeu de mots. Science-fiction, horreur et érotisme : tous les ingrédients qui ont fait le succès de « Druuna » sont présents dans cette trilogie.
Rappelons que l’ensemble des huit albums parus chez Dargaud (pour les deux premiers), puis chez Bagheera (de 1990 à 2003) a été réédité en cinq volumes par Glénat à partir de 2016, sans oublier plusieurs ouvrages d’illustrations franchement pornographiques destinés à un lectorat averti.
Né le 29 février 1944 à Venise, Paolo Eleuteri Serpieri (2) étudie le dessin aux Beaux-Arts de Rome. Peintre, professeur d’art pictural, il aborde la bande dessinée en 1975 en se spécialisant dans l’histoire de l’Ouest. En France, il participe aux collections Histoire du Far-West, puis Découvrir la Bible chez Larousse, avant de publier « Druuna » en 1985 dansL’Eternauta en Italie et Charlie mensuel en France. Il signe son dernier « Druuna » — « Les Origines » — en 2016. Son œuvre est publiée — comme le présent album — par Lo Scarabeo en Italie et Glénat en France. La traduction de ses westerns, commencée par Mosquito, sera poursuivie par Glénat au début de l’an prochain.
Cet album de 84 pages destiné à un lectorat averti propose également un cahier d’illustrations réalisées par Serpieri.
Henri FILIPPINI
(1)   Pour les précédents tomes, voir : Le retour de « Druuna » et « Les Arcanes de la maison Fleury » : deux nouveaux albums pour public averti…, Druuna : quinze ans après… et « Druuna » : double retour !
(2)   Sur Paolo Eleuteri Serpieri, voir le « Coin du patrimoine » qui lui a été consacré par Gilles Ratier : Les westerns de Paolo Eleuteri Serpieri.
« Druuna au commencement T2 : Genesis » par Andrea Lula, Corrado Roi et Marco Cannavò, d’après Paolo Eleuteri Serpieri
Éditions Glénat/Lo Scarabeo (15,50 €) — EAN : 978-2-344-06080-3