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Jordi Lafebre nous enchante avec une BD entre comédie et polar catalan !

23/10/2023
Par Gilles Ratier

Après ses remarquables albums avec le scénariste Zidrou — dont l’émouvant « Lydie » — ou le très beau et poétique « Malgré tout » (1), le Barcelonais Jordi Lafebre nous embarque dans un lumineux thriller féminin, au ton résolument moderne : aussi tendre que loufoque. Cette énigme ébouriffante autour d’une histoire de famille fortunée et d’héritage, qui alterne avec brio — et beaucoup d’humour — différentes temporalités, est menée tambour battant par une héroïne très charismatique : une jeune et brillante psychiatre qui vient de se faire retirer sa licence…

Si elle veut récupérer ce qui pourra lui permettre d’exercer à nouveau son métier, Eva Rojas doit suivre une supervision par son confrère le docteur Llull. Gymnastique intellectuelle compliquée, surtout lorsque l’on sait que cette femme fantasque est aujourd’hui recherchée pour meurtre, qu’elle ne se prive pas de s’adonner exagérément à la cigarette, à la boisson et au sexe, et qu’elle se croit sans arrêt accompagnée par les fantômes de sa grand-mère et de ses deux tantes : dont les tempéraments bien trempés n’ont rien à envier à celui de leur descendante. Évidemment, Eva ne va pas déballer tout ça à son évaluateur…

N’empêche que c’est seulement après un passage sur le toit d’un immeuble proche de la monumentale église de la Sagrada Família, au bord du précipice, que l’excentrique psy va pouvoir reprendre sa consultation, en racontant, de façon chronologique, ce qui lui est arrivé la semaine passée. Figurez-vous qu’elle a été appelée en renfort par l’une de ses riches patientes, afin qu’elle l’accompagne durant la lecture du testament de sa grand-mère : laquelle est encore bien toujours vivante ! Or, cette dernière est l’aïeule de la dynastie sans scrupule — et bien allumée — des Monturós, laquelle a fait fortune grâce au domaine familial viticole pendant la période franquiste : cette lignée dissimulant, comme il se doit, nombre de secrets inavouables…Au fil de ses explications émaillées d’anecdotes rocambolesques, notre attachante héroïne reconnaît, en effet, qu’elle a fini par se retrouver face à un cadavre ! Une inspectrice, qui n’a pas l’intention de se laisser démonter, est alors nommée en charge de l’affaire, mais Eva ne peut pas s’empêcher de mener son enquête de son côté, à sa manière…

Comme à son habitude, Jordi Lafebre nous ravit d’emblée par son enlevé et virevoltant dessin semi-réaliste, ainsi qu’avec ses ensoleillées couleurs pastel ; mais c’est surtout sa maîtrise et son originalité narrative qui imposent ici le respect : il sait, notamment, parfaitement ménager ses effets, grâce à un découpage dynamique et expressif.

Bref, vous l’avez compris, « Je suis leur silence » est un joyeux et ludique whodunit sociétal, au ton ironique et caustique : mélange jouissif et explosif d’intrigues sophistiquées et de personnalités hautes en couleur, à coups d’étonnants récits enchâssés…

Gilles RATIER