Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Quoi de mieux que les belles intégrales des éditions Dupuis pour savourer deux des meilleures séries jeunesses contemporaines : « Louca » et « La Boîte à musique » ?
Depuis 2006, les éditions Dupuis publient, de façon soutenue, des intégrales de séries parues dans les pages du Journal de Spirou. Après avoir mis surtout l’accent sur le patrimoine de l’hebdomadaire, elles s’attachent désormais à compiler, dans de conséquents ouvrages, plusieurs albums de belles séries contemporaines. L’occasion nous est ainsi donnée de lire, ou de relire, en une seule fois, tous les volumes de « La Boîte à musique » et de la saison 2 de « Louca ».
Louca est un adolescent paresseux au lycée et maladroit avec les filles. Il aimerait changer de vie, être plus courageux et sûr de lui avec les autres, particulièrement avec la douce Julie. Le fantôme d’un certain Nathan, beau garçon intelligent, drôle et doué au football, l’aide à se prendre en main. Commence alors l’initiation de Louca qui doit, contre les conseils de son nouvel ami, découvrir comment Nathan est mort. Il réussit mieux scolairement et étonne, maintenant, lors des entraînements de football de l’équipe de son lycée. Il est impératif pour lui d’être décisif lors du dernier match de l’année. Il s’est juré de sauver l’équipe de la relégation. Tout se passe bien jusqu’au moment où Nathan se souvient du jour de sa mort et des circonstances de son assassinat.
La saison 2 de la série est constituée de cinq albums ici réunis : « Les Phoenix », » Confrontations », « Foutu pour foutu », « E-sport » et « Game Over ». On y suit les nouvelles aventures de Louca et Nathan : à la suite d’un incendie criminel, les installations de leur club de football ont été détruites et les joueurs de l’équipe dispersés.
Les deux amis vont patiemment reconstituer leur équipe de rêve en retrouvant et en convainquant leurs anciens partenaires un à un ; mais, pendant ce temps, un mystérieux tueur à gages les suit avec de sombres projets, jusqu’au rebondissement final. Inattendu, il offre au lecteur une vision toute autre de l’histoire de Nathan et Louca depuis l’origine. D’ailleurs, le 10e album de la série (« L’Histoire de Nathan ») offre des clefs de compréhension pour l’ensemble du récit, bien avant la rencontre entre les deux jeunes héros.
Nominée dès 2014 pour le Fauve d’Angoulême sélection jeunesse, la série « Louca » connaît un beau succès. Succès mérité pour ce récit bien construit des aventures d’un adolescent qui, aidé par le fantôme d’un camarade, doit aider son équipe de football, tout en démêlant les fils d’une intrigue policière. Dynamiques et réussissant à capter un certain air du temps, les épisodes de « Louca » ont trouvé grâce auprès du jeune lectorat.
Bruno Dequier vient du monde de l’animation. Il a notamment travaillé comme animateur puis directeur de l’animation sur des films comme « Moi, moche et méchant » ou « Un monstre à Paris ». Sa première bande dessinée, « Louca », prépubliée dans le magazine Spirou, est une sympathique série pour la jeunesse qui dispose de plusieurs atouts :
— des séquences de sport fort bien menées,
— un humour qui touche toujours par son à -propos,
— un personnage central bien campé qui résume tous les doutes adolescents,
— une intrigue intéressante qui mêle un soupçon de fantastique (avec l’irruption d’un fantôme de l’âge de Louca) à une enquête policière et une comédie sentimentale.
Voilà une bonne recette pour plaire à un large public, d’autant que le graphisme de l’auteur est original, proche parfois du manga, avec une expressivité marquée par la déformation de certaines anatomies.
« La Boîte à musique » est une série destinée à un lectorat plus jeune et plus féminin. Dans les cinq premiers albums de la série, nous suivons les aventures de la petite Nola qui a reçu pour son huitième anniversaire un magnifique cadeau : une boîte à musique de sa maman, récemment décédée. Cette boîte à musique traditionnelle, en forme de boule de cristal, révèle soudainement ses secrets ; en tournant la clef un tour à droite puis deux tours à gauche, Nola rétrécit, rentre dans l’étrange boule bleue et découvre un autre monde, peuplé de créatures fantastiques : celui de Pandorient.
Dans ce monde de fantasy, Nola se fait de bons amis (Andréa et Igor) et découvre que sa mère y avait séjourné avant elle. C’est pour toutes ces raisons qu’elle retourne régulièrement à Pandorient, malgré un danger diffus qu’elle y perçoit. Ainsi, par exemple, pour les 350 ans du roi Hectorian Ier, tous les habitants de ce petit village moyenâgeux sont dans la rue. C’est une source d’inquiétude pour la fillette, car elle est repérable à son odeur d’humaine de l’hexomonde. Elle se rend donc chez Anton l’herboriste, pour qu’il la couvre d’une poudre de camouflage qui cache son origine aux habitants de ce petit monde.
Dans son jardin secret, les enfants s’extasient devant une multitude de plantes extraordinaires. Mais Anton est très préoccupé. Il constate de nouveau qu’on lui a volé plusieurs plantes, et l’association de certains de ces végétaux peut se révéler … explosive. Nola, Andréa et Igor entament alors une enquête qui les mène rapidement sur les traces de Cyprien, le fils d’Anton, victime de harcèlement et de chantage dans son école. En suivant cette piste, les enfants mettent à jour l’existence d’un complot visant rien de moins que le roi Hectorian Ier puis plus tard, ils apprennent que la maman de Nola a bel et bien été assassinée…
Cette série jeunesse connait un joli succès public, car elle révèle lentement, mais sûrement, les secrets du monde de Pandorient autour d’une intrigue autonome qui se conclut à la fin de chaque album.
 Carbone (Bénédicte Carboneill) a ainsi confié dans les pages du magazine Spirou qui prépublie la série :
« Chaque album contient des informations cachées pour la suite de la série, c’est un jeu de piste pour le lecteur. J’insère des détails qui prendront tout leur sens lorsque les lecteurs auront une vision plus large… J’ai déjà une idée très précise de l’intrigue pour les six prochains albums. Le principe est que le lecteur découvre pas à pas les ressorts tout comme l’héroïne. »
L’ancienne professeure des écoles reconvertie scénariste de bande dessinée a bâti une trame narrative classique – la découverte par une enfant d’un monde parallèle féérique – qu’elle pimente de thématiques humanistes propres à rassurer ou intriguer les jeunes lecteurs : la résilience liée au deuil, la force de l’amitié, les dangers du harcèlement ou la lâcheté des attentats terroristes.
Ce scénario plus complexe qu’une première lecture pourrait le laisser penser, est sublimé par le graphisme infographique du jeune dessinateur Gijé (Jérôme Gillet) : aucun rapport avec son illustre homonyme Jijé (Joseph Gillain). Il importe du jeu vidéo son trait frais et souple, bariolé, parfois saturé de couleurs chatoyantes jusqu’à provoquer des contrastes inédits pour une BD jeunesse.
Il évoque ainsi son travail sur la série : « La mise en couleur est une étape que j’adore et qui permet de nuancer le dessin. Je choisis des couleurs vives et chaudes dans des moments d’action, des teintes plus froides ou sylvestres pour des moments d’émotion. Lorsque je lis le scénario, les tons me viennent en tête avant la mise en scène. C’est dire si les couleurs sont importantes dans ma manière de faire de la bande dessinée. »
La bande dessinée jeunesse franco-belge est bien vivante. Nous faisons régulièrement état dans cette rubrique de la richesse et de la qualité de sa production que les éditions Dupuis mettent en valeur dans de superbes intégrales de 300 pages, la couverture de celle de « La Boîte à musique » présente, ainsi, une belle mise en perspective de Nola derrière les autres personnages en relief devant les paysages de Pandorient.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Louca : l’intégrale » T2 par Bruno Dequier
Éditions Dupuis (35,00 €) – EAN : 979-1-0347-5732-9
Parution 6 octobre 2023
« La Boîte à musique : intégrale » T1 par Gigé et Carbone
Éditions Dupuis (40,00 €) – EAN : 979-1-0347-7027-4
Parution 6 octobre 2023