Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Madeleine, résistante » T2 : des Histoires si humaines…
Madeleine Riffaud, nom de code Rainer, se forme aux tactiques de la Résistance, dans un quotidien de plus en plus oppressant, et croise les compagnons du groupe Manouchian … Deuxième opus de l’impressionnant récit historique concocté par Jean-David Morvan et Dominique Bertail, « L’Édredon rouge » raconte avec une précision documentaire inédite le combat de celles et ceux qui osèrent défier l’occupant nazi. Saluée par le festival d’Angoulême en 2022 (prix Goscinny) et 2023, « Madeleine, Résistante » est assurément déjà rentrée dans l’Histoire du 9e art : un indispensable mémoriel !
Dans le premier volume (« La Rose dégoupillée »), paru chez Dupuis (collection <Aire libre) en août 2021, les lecteurs avaient pu découvrir la petite Madeleine Riffaud, alors âgée de six ans. Née le 23 août 1924 dans la Somme, région marquée par les stigmates de la Première Guerre mondiale, elle vit heureuse avec son grand-père et ses parents instituteurs, dans le village picard de Folies, Madeleine passe également des moments de vacances non loin d’un paisible bourg du Limousin : Oradour-sur-Glane. Comme tant d’autres, elle est bientôt jetée sur les routes de l’Exode en juin 1940. En 1941, atteinte d’une primo-infection tuberculeuse, elle est envoyée en convalescence dans un sanatorium en Isère. Germe en elle un désir de survie, doublé de la volonté de lutter contre l’oppresseur allemand. Le premier volume se clôt en 1942, à l’aube de son entrée dans la Résistance. Ce ne sera que le premier acte d’un destin exceptionnel, que l’infatigable Madeleine Riffaud – 99 ans depuis le 23 août… – continue de raconter aujourd’hui, à travers une première trilogie nourrie des milliers de détails d’une mémoire qui n’a rien oublié.
Acte 2 : Madeleine, qui a choisit le nom de code Rainer en référence au poète autrichien Rainer Maria Rilke (1875-1926), s’investit dans la Résistance, avec des amis nommés ou surnommés Picpus, Janson, Maillac, Fontaine, Gabin et Monroe. En 1942, elle suit également une formation de sage-femme à la faculté de médecine de Paris. L’un ne va pas sans l’autre : dans le triangle de direction du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France, organe patriote des étudiants de médecine du Quartier latin, Madeleine se fait remarquer par des gestes héroïques et salvateurs. Du tractage clandestin jusqu’au plasticage de convois ennemis, la joie des victoires côtoie le drame des pertes humaines. En juillet 1944, entrée dans les FTP, elle s’apprête à obéir au mot d’ordre décisif : intensifier la lutte armée en vue du soulèvement de la capitale… : « Les sentiments personnels, à cette époque, il fallait savoir les mettre de côté, mais ce n’était pas de gaieté de cÅ“ur vous savez… […] Nous n’étions pas nombreux dans la lutte armée. Mais on nous a dit : débrouillez-vous ! »
Lauréate – entre autres – du prix René Goscinny au FIBD 2022, objet d’une exposition en itinérance dans les festivals, collèges et lycées mais aussi de présentations prestigieuses au FIBD 2023, au Centre d’Histoire de la Résistance et de la déportation de Lyon (du 2 février au 11 juin 2023) et au château de Malbrouck (jusqu’au 3 septembre dernier ; voir l’exposition en ligne « Elle résiste, elles résistent »), « Madeleine, Résistante » profite assurément du grand talent de ses auteurs. À commencer par Madeleine Riffaud elle-même, dont la forte parole directe et l’intense précision documentaire alimente chaque case, chaque dialogue et chaque scène. L’art de l’ellipse du scénariste Jean-David Morvan, ensuite, qui alterne sans temps mort phases d’action et réflexions sur la guerre, dans une narration divisée en chapitres où viennent s’intercaler des poèmes signés par Madeleine. Dominique Bertail, enfin, qui poursuit dans ce deuxième volume les intentions graphiques mises en place dès le premier opus : gaufrier de trois bandes et six cases maximum par planche, pleine page demi-planche accentuant les ambiances et temps forts, reconstitutions minutieuse des lieux et somptueux encrage réhaussé d’un lavis au bleu monochrome. Un choix chromatique volontairement adopté car permettant de renforcer les atmosphères, des plus légères au plus lugubres, sans contradictions avec les soleils éblouissants de juin 1940 et de l’été 1944. Les lecteurs les plus curieux peuvent néanmoins retrouver un dessin plus classique, encré en noir et blanc, au sein des différentes « Cahiers Madeleine » (trois par albums) prépubliés et édités par Dupuis depuis juillet 2020 (entre 2500 et 1500 exemplaires selon les numéros, intérieur de la jaquette et couverture illustrée ; 6e fascicule repoussé à 2024). Des « Cahiers » dignes d’un making-of, qui ont notamment le grand mérite de retracer les principales étapes de la création de cette série devenue culte (appendices partiellement repris en fins d’albums) : l’intérêt développé par Morvan en 2017 pour le destin de Madeleine, puis la rencontre entre nos trois protagonistes créatifs à Paris en juin 2018 ; un déclic suivi par des heures d’enregistrement dans les semaines et mois ultérieurs. Des moments durant lesquels Madeleine Riffaud a raconté non seulement « sa » Deuxième Guerre mondiale mais aussi ses rencontres (Éluard, Picasso, Aragon), sa fonction de journaliste en Indochine, en Algérie et au Viêt Nam, puis le mal-être des aides-soignantes dans la France du début des années 1970, qu’elle dénonce dans l’ouvrage « Les Linges de la nuit » (Julliard, 1974).
Faisant suite au 96 planches du premier volume (80 000 exemplaires vendus), les 128 pages de « L’Édredon rouge » enfoncent le clou : puissances du témoignage comme du traitement, dessin parfait et énergie galvanisante d’une courageuse héroïne des temps modernes, passeuse de mémoire essentielle, à quelques mois du 80e anniversaire de la Libération de Paris. Un destin pour le moins exceptionnel, qui a des chances de nous captiver encore durant de longues années…
Philippe TOMBLAINE
« Madeleine, Résistante T2 : L’Édredon rouge » par Dominique Bertail et Jean-David Morvan, d’après Madeleine Riffaud
Éditions Dupuis (23,50 € ; 128 pages) – EAN : 979-1034747979
Parution 29 septembre 2023
Édition spéciale – Tirage de tête par Dominique Bertail, Madeleine Riffaud et Jean-David Morvan
Éditions Dupuis (35 € ; 136 pages ; 999 ex. – frontispice n°/s) – EAN : 979-1034748020
Parution 29 septembre 2023
Édition augmentée librairie Bulle par Dominique Bertail, Madeleine Riffaud et Jean-David Morvan
Éditions Dupuis (35 € ; 144 pages ; 1000 ex. n°/s – cahier inédit de 16 pages et frontispice n°/s) – EAN : 978-2-808502818
Parution 29 septembre 2023
« Cahiers Madeleine, Résistante » T6 par Dominique Bertail, Madeleine Riffaud et Jean-David Morvan
Éditions Dupuis (15,95 € ; 44 pages ; 1500 ex. – jaquette et suppléments inédits) – EAN :
979-1034769094
A paraitre en janvier 2024