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Ayroles et Guérineau dévoilent les ombres qui planent sur le siècle des Lumières…

11/09/2023
Par Gilles Ratier

Marqué par l’adaptation cinématographique des « Liaisons dangereuses » (Stephen Frears, 1988), puis par la lecture du roman d’origine (Pierre Choderlos de Laclos, 1782), le talentueux scénariste Alain Ayroles s’est beaucoup intéressé au XVIII^e siècle : à la philosophie progressiste des Lumières, à la libération des mœurs et au souffle de liberté qui régnaient alors, mais aussi aux guerres entre la France et l’Angleterre se déroulant parallèlement en Amérique du Nord. Ainsi, a-t-il imaginé d’invraisemblables péripéties vécues par un aristocrate libertin et manipulateur, toujours prêt à ourdir des machinations afin de duper ou de corrompre l’innocence de ses contemporains, dans le seul but de satisfaire ses désirs. Astucieusement rythmé par la correspondance épistolaire de l’envoûtant malfaisant et fort bien imagé par le non moins émérite Richard Guérineau, ce premier cycle en trois albums va nous faire traverser cette période prérévolutionnaire jusqu’à l’extinction de l’ancien régime.

Comme il préfère de loin la plume à l’épée, l’infâme séducteur sans scrupules qu’est le chevalier Justin Fleuri de Saint-Sauveur passe donc son temps à préparer, dans les moindres détails, des plans machiavéliques pour parvenir à ses fins. Dans ce premier volume de 62 pages, cet antipathique nobliau haut en couleur, aussi lâche et vil qu’intelligent et fin lettré, tente d’aguicher, pour la mettre dans son lit, la belle – mais hélas trop faible — Eunice de Clairefont. Et puisque tout est permis dans cette société profondément inégalitaire, le Saint-Sauveur dépense toute son énergie pour obtenir les faveurs de cette femme honnête, instruite et empathique — elle n’hésite d’ailleurs pas à s’émouvoir de la misère des campagnes et de l’obscurantisme des éducateurs ou de la religion —, qui n’est finalement pour lui que le sujet d’un odieux pari. Toutefois, ses diverses conspirations, turpitudes et basses œuvres vont le mener de la cour du Roy à un exil dans les terres lointaines de la Nouvelle-France, par-delà̀ les océans…

Le talentueux scénariste de « De cape et de crocs », de « Garulfo » ou des « Indes fourbes » (1) nous a habitués à son maniement expert de la langue de Molière, et il ne s’en prive pas non plus, loin de là, dans ces rocambolesques péripéties où le dessinateur de « Charly 9 », d’« Henriquet, l’homme reine » ou de la série « Le Chant des stryges » (2) rivalise de précision et de dextérité, multipliant les trognes expressives — remarquables, tant dans la beauté que dans la laideur — et les décors détaillés. Son trait à la fois clair et modelé, par ailleurs judicieusement et finement coloré, est fort bien mis en valeur par l’écrin en grand format (26x24cm) qu’ont accordé les éditions Delcourt à cette prometteuse suite d’imbroglios.

Gilles RATIER