« Lapérouse 64 » : ne perdez plus La Boussole dans le Pacifique !

N’est pas James Bond qui veut ! Nageur de combat et homme habitué des opérations classées « secret défense », François Guérin se retrouve en 1964 à devoir… retrouver l’épave de La Boussole : le mythique vaisseau-amiral de Lapérouse, mystérieusement disparu dans l’océan Pacifique en 1788. Or, voici que la perspective de cette mission historique trouble bien des esprits, jusque dans la Marine française… Inspiré par les recherches françaises à Vanikoro dans les années 1960, ce très prenant one-shot de 160 pages, imaginé par Laurent-Frédéric Bollée (l’un des deux scénaristes du best-seller « La Bombe ») et Marie Agnès Le Roux (éditrice indépendante, passionnée par le célèbre naufrage), nous emportent entre Histoire, exploration et fiction, dans la veine de Kessel, Conrad ou Cousteau…

Une mission pour le contre-espionnage (planches 4 et 5 ; Glénat 2023).

Pour les lecteurs qui s’intéresseront à cet album, l’aventure et l’enquête débutent comme il se doit avec la couverture, intrigante à souhait. Si le titre donne une idée du sujet et du temps du récit, l’image met prioritairement en scène un univers (la mer), ainsi qu’un équipage (deux officiers de la Marine nationale et une femme équipée d’un appareil photo) embarqué dans un Zodiac et s’apprêtant à gagner une terre exotique : des latitudes chaudes que la végétation ou les habits laissent aisément percevoir. Il demeure que le voyage exploratoire annoncé n’a rien d’une partie de plaisir : à l’arrière-plan, la présence du patrouilleur La Liloise augure d’une situation sous autorité militaire ; à l’avant-plan, la noirceur des frondaisons et le crâne semi-enterré sont annonciateurs des révélations à venir, liées à la tragédie survenue deux siècles auparavant. De fait, la mort de La Pérouse et de son équipage, noyé, perdu ou massacré par les indigènes, ne laisse plus grande place au doute après les années 1960-1980. L’aventure archéologique sous-marine, en conséquence, adopte ici tous les ingrédients du polar, les couleurs employées (noir, rouge, jaune, blanc) validant d’emblée cette lecture sémiologique.

Trajet emprunté par l'expédition de La Pérouse de Brest jusqu'à Botany Bay (1785-1788). Doc : Wikipédia.

Dans l’album, François est confronté à plusieurs dilemmes : la légende de Lapérouse ne l’attire pas ; sur La Liloise, sous les ordres du capitaine de frégate Durieux, l’équipage semble prêt à tout pour s’emparer des reliques gisant dans les profondeurs, sous l’œil narquois de la photographe indépendante Viviane ; pire : l’exécrable météo ne va-t-elle pas, de nouveau, mettre des vies humaines en danger ? Car, partie de Brest en 1785 à bord de deux frégates, La Boussole et L’Astrolabe, l’expédition initiale avait subi plusieurs drames : le tour du monde s’achève lorsque les navires disparaissent corps et biens en juin 1788, à la suite d’un cyclone survenu aux alentours des îles Santa Cruz, dans la mer de Corail. On apprendra plus tard qu’une poignée de survivants tenta de rejoindre des piles voisines, d’autres disparaissant au fil des mois à Vanikoro, probablement entre maladies, luttes intestines et massacres indigènes. Sous la Révolution (cf. la légendaire dernière question de Louis XVI avant son exécution : « A-t-on des nouvelles de monsieur de La Pérouse ? » ) et durant tout le XIXe siècle, des recherches et fouilles sont entreprises, notamment à Vanikoro, île maudite du Pacifique. Là, on sait qu’en effet L’Astrolabe, s’était bien fracassée sur des récifs coralliens, puisque l’explorateur Peter Dillon (voir l’article de Didier Quella-Guyot évoquant l’album éponyme, paru en 2021) en avait retrouvé des restes dès 1827… mais quid de La Boussole, le navire où se trouvait précisément Lapérouse ?

Le naufrage de L’Astrolabe et de La Boussole en 1788. Dessin réalisé par Louis le Breton après la découverte du naufrage en 1827.

Recherches de couvertures.

Obsédé depuis près de deux siècles par la tragédie, le gouvernement français diligente en 1964 le chef du service historique de la Marine, le capitaine de vaisseau de Brossard, pour confirmer à Vanikoro la présence de La Boussole, dont un plongeur néo-zélandais, Reece Discombe, venait de retrouver quelques débris… Plusieurs objets appartenant à ce navire, effectivement retrouvé, sont exposés au musée d’Albi, commune de naissance de Lapérouse (ou La Pérouse) en 1741. Pour le héros, François Guérin, cette aventure en eaux troubles prendra une autre tournure : s’agit-il de la plus belle des quêtes, au profit de la vérité historique, ou de la plus absurde, dans un climat géopolitique international tendu ? Réponse dans cet album, où le dessinateur Vincenzo Bizzarri rend à l’expédition toutes ses couleurs, en nous invitant à évoluer dans des décors plus vrais que nature, où les hommes semblent devenir plus fragiles que jamais…

Storyboards par Vincenzo Bizzarri.

Quant à l’énigme Lapérouse, elle ne semble jamais avoir de fin : étudiée et entretenue par diverses expéditions scientifiques (la dernière en 2012), elle parait conserver tout son potentiel. En 2003, on retrouvait ainsi le squelette d’un inconnu de Lapérouse, probable scientifique (Jean-André Mongez ou Joseph Lepaute Dagelet ?) dont l’identité demeure un mystère. Tant mieux pour cet album, tiré d’une histoire vraie, et qui, selon Laurent-Frédéric Bollée se veut être « un vrai « film », qui pourrait forcément rappeler quelques Å“uvres de Pierre Schoendoerffer ou de Werner Herzog… »

Philippe TOMBLAINE

« Lapérouse 64 » par Vincenzo Bizzarri, Marie-Agnès Le Roux et Laurent-Frédéric Bollée

Éditions Glénat (22,50 €) – EAN : 978-2344052501

Parution 6 septembre 2023

Galerie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>