Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« AIR T1 : Sous un ciel moins gris » : comme un air de steampunk !
« Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que… » Sur Terre, rien ne va plus depuis que des météorites venues s’écraser sur le permafrost ont libéré des bactéries nocives : l’air, rendu irrespirable, a contraint l’État à construire des aéronefs purificateurs. Mais les sabotages se multiplient, revendiqués par un mystérieux réseau rebelle : Troy Denen, membre du Comité central, va tenter d’y voir plus clair… Le premier volet d’un diptyque aliénant, kafkaïen : « Metropolis » placé sous respirateur artificiel.
On n’arrête plus le scénariste Philippe Pelaez ! Après notamment « Automne en baie de Somme » (juin 2022 ; voir notre chronique), « L’Écluse » (dessin par Gilles Aris ; Grand Angle, août 2022) et « Six » (dessin de Casado ; Dargaud, mai 2023), et avant de découvrir prochainement « Hiver, à l’opéra » ou « L’Enfer pour aube » T2, voici donc le premier opus d’« AIR ». Publié par le label Grand Angle, cette nouvelle parution témoigne des indéniables liens de confiance tissés entre l’auteur et les éditions Bamboo depuis 2020 : année de parution de « Dans mon village, on mangeait des chats », alors déjà dessiné par Francis Porcel.
Une mégalopole, des robots et des avions apparentés à l’esthétique steampunk (même si les auteurs préfèrent évoquer la dystopie comme genre SF) ; aux pieds d’un impassible robot policier, un homme suffoque sur une très haute passerelle métallique, dans une atmosphère plombée et jaunâtre que l’on devine irrespirable. La couverture de ce premier volume va à l’essentiel : sans air sain, pas (ou bientôt plus…) d’humanité. Ni de libertés. Car « qui contrôle l’air, contrôle l’humanité ». De fait, alors que semblent s’opposer le Renouveau, un gouvernement fasciste cyniquement incarné par la figure débonnaire du Régent, et le Réseau, un mouvement de rébellion mené par Shanice Abendale, des attentats semblent bouleverser ce canevas pour le moins manichéen. Pour confondre les responsables, Urban Yeiger, responsable du réseau policier, diligente Troy Denen, homme de confiance du Régent, en mission d’espionnage au cÅ“ur du Réseau. Bien sûr, l’« Air/R » étant trouble, rien ne va se passer comme prévu…
« Air T1 : Sous un ciel moins gris » n’est pas la première Å“uvre du genre à évoquer une ère post-apocalyptique, marquée par un air vicié : citons ici et pour mémoire le film « Air » (C. Cantamessa, 2015), où une attaque massive d’armes chimiques a anéanti la majorité de l’humanité et rendu l’air irrespirable. De « Soleil vert » (R. Fleischer, 1972) à la série TV « Terra Nova » (C. Silverstein et K. Marcel, 2011) ou l’album « Shangri-La » (Mathieu Bablet chez Ankama, 2016), il ne fait pas vraiment bon humer à pleins poumons. Dans la série romanesque « Silo » par Hugh Howey (Actes sud, 2013), récemment adaptée sur AppleTV+, les êtres humains sont ainsi obligés de vivre dans un immense bunker souterrain pour se protéger des conditions de vie mortelles qui règnent à la surface de la planète. Rien de tel dans le présent album, mais chacun doit néanmoins compter avec un volume d’air quotidien limité, dispensé au travers de clisses fournis par les autorités : des masques à ventilation assistée, qui ne laissent aucune chance aux malheureux qui ont épuisé leurs réserves… Un sujet angoissant qui renvoie à certaines réalités : le marchandage de l’eau potable, ressource de plus en plus précieuse, ou la pollution des océans, qui émettent 50 % de l’oxygène terrestre (environ 10 % pour la forêt amazonienne).
Base secrète, bathyscaphes dignes de Jules Verne, monstres des profondeurs, territoires inconnus, traitres et seconds rôles hauts en couleurs : rien ne manque au fil de ces soixante premières planches pour satisfaire les lecteurs, cadrages et colorisation faisant beaucoup pour nous plonger dans l’aventure. Suite et fin en 2024 avec « AIR T2 : Gouffres amers » : gardez votre souffle d’ici-là !
Philippe TOMBLAINE
« AIR T1 : Sous un ciel moins gris » par Francis Porcel et Philippe Pelaez
Éditions Grand Angle (16,90 €) – EAN : 978-2-818993439
Parution 30 août 2023