Vivant depuis 25 ans avec Tanie — qui est aveugle d’un œil et qui, en conséquence, doit se démener tous les jours pour s’adapter de son mieux aux charges du quotidien —, le dessinateur et scénariste Marc Cuadrado a repris ses crayons pour nous expliquer comment sa courageuse femme fait face à sa déficience visuelle. Pour l’occasion, cet adepte du style gros nez — « Norma » chez Casterman et « Parker & Badger » chez Dupuis ou « Je veux une Harley » pour Frank Margerin chez Fluide glacial et Dargaud (1) — renoue avec la discipline graphique qu’il avait abandonnée depuis une dizaine d’années : passant à autre trait, plus semi-réaliste, où sa plume se fait alors tendre et émouvante… même s’il insuffle toujours sa lumineuse touche d’humour personnelle !
Lire la suite...« Échecs » ou la diagonale de deux fous…

Récit choral chroniquant la difficulté contemporaine de la rencontre, « Échecs » s’avère une allégorie de la vie ludiquement orchestrée par un auteur complet : l’Espagnol Victor L. Pinel. Dans la foule sentimentale, Samir et l’Inconnue s’agitent : deux fous, comme autant de diagonales aux destins parallèles…
En compulsant ce gros album, l’œil est séduit par le graphisme de ce jeune auteur né en 1988, à Madrid. D’emblée, l’élégant réalisme un brin caricatural de ses personnages et la générosité des décors comme le joli jeu sur les vides incitent à la lecture. Cette qualité graphique est d’autant plus notable que l’opus compte quelque 170 planches. Claire, la couleur sait aussi seconder le dessin sans jamais prendre le pas sur le trait même. Sobre et délicate, elle alterne des gammes séquentielles, jouant ainsi de camaïeux bleutés pour les flash-backs.
Entrons dans la lecture. Scandé en neuf chapitres et un épilogue, ce foisonnant récit s’avère conter une histoire complète basée sur le thème du jeu d’échecs. Original point de départ narratif, ce jeu distrayant est une métaphore de la vie même : d’apprentissage aisé, il demeure délicat d’y gagner. Ici, tout débute par la rencontre fortuite d’un jeune homme prénommé Samir — le protagoniste formant un improbable duo avec Mme Dubois — et d’une jeune femme, à la sortie d’un tram. Si Samir tombe sous le charme de l’inconnue, il ne la reverra jamais plus. S’en suit une série de courtes scènes, centrées sur une foule de personnages avant de revenir sur Samir, bénévole en EHPAD, quirencontre Marion (la charmante directrice de l’établissement) et surtout ladite Mme Dubois : résidente aussi attachante qu’acariâtre… et jouant aux échecs. Lors de l’apprentissage du jeu mené par cette dernière, Pinel met en place — par la voix de Samir — sa métaphore de la vie, revenant sur certains des protagonistes initiaux, comparant les uns aux pions, les autres aux fous, et ainsi de suite. En roi, la directrice Marion. En roi également, le personnage d’acteur Mathieu Petit !
Puis, l’ironique vieille dame et le jeune accompagnateur jouent quelques parties avant que ne soient contéesplusieurs tranches de vie où vont s’entrecroiser certains des personnages. La revanche est l’occasion de livrer des confidences amoureuses — pour Samir — et de poursuivre la métaphore au moyen d’une voix off sur une scène de piscine. Comme Samir, chacun des protagonistes du récit échoue dans ses relations sentimentales. C’est que tous ignorent n’être, en fait, qu’une des pièces d’un vaste jeu d’échecs. Au jeu des alternances entre parties et scènes extérieures, le canevas se resserre sur les protagonistes de ce jeu amoureux, autour d’une opération de communication organisée à l’EHPAD… Au fil de ces scènes de vie ordinaires, tous se confrontent, ignorant être interconnectés sur cette improbable carte du Tendre, et surtout Samir, lequel s’avère être — malheureusement — un fou ; tout comme l’inconnue du tram. Mais deux fous évoluant sur deux couleurs différentes… : tragédie des destins parallèles. Enfin, une ultime leçon professée par Mme Dubois parachève ce jubilatoire chassé-croisé.
« Échecs » par Victor L. Pinel
Éditions Grand Angle (24,90 €) — EAN 978-2-8189-9191-6