Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Le retour des agitateurs Eddie et Noé : une chronique adolescente d’une grande justesse…
Elodie (Eddie) et Noé sont amis depuis leur plus tendre enfance. Nous avons fait leur connaissance en début d’année, dans le premier volume remarqué d’un diptyque annoncé. Adolescents, ils s’ouvrent à la vie et découvrent les affres des premiers émois, en même temps que des enjeux sociétaux qui les passionnent, mais les dépassent souvent. Cependant, avec leur réputation d’agitateurs, ils s’engagent à changer le monde… à leur niveau.
Dans « Plus chauds que le climat ! », le premier volume de leurs aventures, nous avons suivi la fin d’année scolaire au collège Athénée Frimout de Bruxelles des inséparables Eddie et Noé. Ces élèves sérieux ont séché des cours pour manifester avec d’autres jeunes, afin que les adultes prennent des décisions efficaces pour lutter contre le dérèglement climatique. Le directeur l’a évidemment appris et les a convoqué dans son bureau, avec leur amie Sarah, pour les menacer d’exclusion. Un peu par provocation, mais aussi pour diffuser des idées écologistes qu’ils estiment importantes, les adolescents organisent une manifestation au sein de l’école. Opération réussie, mais qui entrainent leur exclusion de leur établissement scolaire.
Nous retrouvons au début de ce volume la bande d’amis mystérieusement réintégrée. Le mystère est vite éventé : c’est le riche père de Sarah qui a soudoyé l’administration pour que les enfants retrouvent leurs classes. Les agitateurs sont désormais pourvus d’une certaine aura auprès de leurs camarades. En revanche, Mme Waffelman, la nouvelle directrice les surveille de près ; de trop près pour Nassim et la Noire Sarah qui la suspectent vite de racisme.
Non directement confrontés à cette discrimination, Eddie et Noé ont du mal à discerner la limite entre remarques d’autorité, maladresses et piques à connotation raciste, mais confrontés à la détresse de leurs amis, il se décident à agir. Il faut tout d’abord confondre l’ambivalente Mme Waffelman. Ce serait relativement simple si un nouveau conflit amoureux ne survenait, avec l’arrivée de Nora dont Eddie et Noé tombent en même temps sous le charme…
Le deuxième volume de « Eddie & Noé » possède les mêmes qualités que le premier. C’est une chronique adolescente contemporaine d’une grande justesse qui, derrière le récit d’une révolte contre les injustices sociales, démêle les écheveaux de rapports humains complexes ; d’amitiés fortes soumises à des tensions nouvelles, de désirs encore inconnus qu’il faut accepter et canaliser, de liens avec le monde adulte qu’il faut nouer en tant que personne nouvellement responsable.
Max de Radiguès nous charme une nouvelle fois par un récit d’une grande finesse sur l’adolescence. Après « Bâtard », « L’Âge dur » ou « Frangins » il réussit avec « Eddie & Noé » à nous conter avec bienveillance une histoire contemporaine sur les affres et les ambiguïtés d’une jeunesse tiraillée par des injonctions contraires : lutter contre le climat, mais aimer que ses parents possèdent de grosses voitures, aller d’une manifestation écologique à une fête géante peu éco responsable, ou passer un temps non compté sur réseaux sociaux et plateformes de streaming sans se soucier d’un bilan carbone alarmant !
À des sujets écologique dans l’air du temps se mêlent subtilement des propos sociaux et sociétaux. Ainsi, Eddie et Noé commencent à être conscients des problématiques de classes sociales, la mère de Noé élève seule ses deux enfants en étant obligé de travailler de nuit…
Comme beaucoup d’adolescents d’aujourd’hui, nos jeunes héros sont travaillés par des questions de genre, par des doutes sur leurs futures orientations sexuelles, et par un combat qui leur semble naturel contre toutes les discriminations : notamment le racisme ; la jeune Sarah est riche mais noire, les remarques péjoratives de la directrice la touchent plus fortement que les autres, tout comme Nassim. Les deux jeunes savent reconnaitre, sous des dehors policés, le racisme ordinaire, au contraire de leurs camarades épargnés par cette discrimination.
Le dessin efficace et sobre d’Hugo Piette va à l’essentiel : aux expressions des personnages et aux interactions des corps les uns par rapport aux autres. De grands aplats de couleurs mettent en évidence ce qui est important dans des planches aux découpages dynamiques. Cette chronique sociale et amoureuse se clôt de fort belle manière par un message d’espoir porté par une jeune génération qui entend lutter, non pour une utopie idéologique, mais pour un monde plus juste, une société durable.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Eddie & Noé T2 : Les Agitateurs » par Hugo Piette et Max de Radiguès
Éditions Sarbacane (14,90 €) – EAN : 978-2-377-31851-3
Parution 7 juin 2023