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« Les Pionniers » T2 : la terre promise du cinéma !

04/05/2023
Par Patrick Bouster

Le très réussi et remarqué premier tome « La Machine du diable » (1) racontait les débuts — d’abord plus techniques qu’artistiques — du cinéma… Ce second et dernier album des « Pionniers » suit les mêmes créateurs, lesquels cherchent à stabiliser, rentabiliser et généraliser leur industrie naissante, autour de 1900 et après. Les frères ennemis Pathé et Gaumont continuent de s’opposer, avec au milieu la créatrice et metteure en scène Alice Guy (2). Outre-Atlantique, l’inventeur Edison, propriétaire de droits techniques est en embuscade. Malgré le protectionnisme naturel de ce pays-continent, les producteurs français sont tentés par le débouché américain, qui peut apporter consécration et développement de leur industrie. Ce bel album, soigné et documenté, est graphiquement superbe, comme le précédent, et le tout forme un diptyque somptueux et indispensable !

Les trois personnages principaux cités commencent à comprendre, ainsi que d’autres comme Méliès, que le cinéma va bien au-delà d’une technique de foire, d’une curiosité technologique pour infantiles ou bêtas (pas dans le premier siècle, mais n’anticipons pas !). Alice Guy apporte son goût pour la représentation et la fiction, tandis que les deux producteurs-fabricants rivaux essaient de se diversifier, réduire les coûts et s’étendre sans surproduire.

Les États-Unis restent un territoire d’expérimentation et d’audace naturel pour ces pionniers. Et puisque les règles économiques et sociales commandent de produire sur place (main-d’œuvre, ressources, cultures locales…), eh bien, banco pour les Français ! Cela n’a pas changé depuis : syndicats d’employés, de musiciens et d’auteurs, barrière de la langue, de la culture… tout y est autocentré, jusqu’au doublage non admis. Les pionniers s’embarquent donc pour le nouveau continent du cinéma, si prometteur. L’avenir leur donnera raison, bien plus tard, et bien au-delà des espérances… Mais quel est leur devenir et celui du cinéma avec la Première Guerre mondiale et ses lourds orages qui s’annoncent, dans cette première décennie du XX^e siècle ?

Que cet album soit aussi bien réalisé que le premier, on l’attendait. Qu’il poursuive brillamment dans cette ligne exigeante, élaborée avec grand soin à tous les stades, c’est encore mieux, et c’est le cas. Les personnages s’incarnent, existent dans cette histoire tumultueuse et émouvante, vraie. Cette nouvelle industrie qui devient un nouvel art se propage comme un grand feu (comme celui du bazar de la Charité au tome 1, et celui des labos américains d’Alice au tome 2). Et cette histoire en marche nous touche par la pâte humaine très bien représentée, des qualités authentiques et sincères d’écriture et de mise en scène.

Hostache, par son trait clair aux ombres charbonneuses – précis, évocateur et à hauteur humaine, il va à l’essentiel —, a franchi de nombreuses marches avec ce double album. Incontestablement, le monde de la bande dessinée peut désormais compter sur lui. À noter les belles couleurs, cohérentes selon les époques et les scènes, par un autre Jean-Baptiste : Merle, qui semble faire des allusions au cinéma et aux grands directeurs de la photo.

Avec 130 pages sur beau papier mat et épais, au toucher très agréable, à tranche toilée, l’éditeur n’a pas ménagé ses efforts et sa prise de risque. Sans hésiter, vous pouvez prendre possession ce second et dernier tome (et le premier si ce n’est pas déjà fait) : ils constitueront un ensemble de taille et de grande classe dans une belle collection de BD !

Patrick BOUSTER