Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Autant en emporte le vent » en BD : ça décoiffe !
Adapter aujourd’hui, en bande dessinée, le célèbre roman de Margaret Mitchell (prix Pulitzer) magnifié par une inoubliable version cinématographique due à Victor Fleming, avec Clark Gable, Vivien Leigh, Olivia de Havilland et Hattie McDaniel — première actrice afro-américaine à recevoir un Oscar —, il fallait oser ! Pourtant, Pierre Alary (l’auteur de « Don Vega », l’illustrateur de la série « Silas Corey » de Fabien Nury ou l’adaptateur de « Moby Dick » et des romans de Sorj Chalandon en BD) a relevé le défi : et si on en juge avec cette première partie, c’est une véritable réussite, tant sur le plan graphique que sur celui de la narration !
Malgré les rumeurs d’affrontements qui circulent — car l’état de Géorgie a quitté l’Union (le Nord) pour devenir un état de la Confédération (le Sud) —, la vie s’écoule paisiblement sur les terres du domaine de Tara, près d’Atlanta, en ce printemps de l’année 1861. Voulant garder leurs esclaves, les sudistes sont sûrs d’être dans leur droit et sont persuadés que même si un conflit éclate, ils battront les Yankees en quelques mois. Malheureusement pour eux, la guerre, déclarée le 12 avril, ne va pas entraîner la victoire rapide des armées confédérées.Â
Âgée de 16 ans, Scarlett O’Hara est une jeune fille pleine de vie et de gaieté, mais au caractère déterminé et audacieux, issue d’une riche famille de planteurs de coton. Pourrie-gâtée et sûre de son charme, elle a toujours eu ce qu’elle voulait : les hommes qu’elle fréquente étant tous fous d’elle. Cependant, elle aime en secret Ashley Wilkes : un rêveur invétéré, passionné de littérature, de poésie et de musique, lequel va se marier avec Mélanie Hamilton, dont les parents accordent beaucoup de valeur à l’éducation. Bouleversée par ce premier chagrin d’amour lorsqu’elle apprend la nouvelle, elle décide, par dépit, d’accepter d’épouser Charles Hamilton (le frère de sa rivale), espérant bien récupérer Ashley plus tard, coûte que coûte. Or, dans ce monde qui respecte si bien les conventions, elle se retrouve le même jour face à face avec le ténébreux capitaine Rhett Buttler : un homme qui, lui, se vante de ne pas être un gentleman, ce qui explique qu’il est, habituellement, écarté de toutes les réunions mondaines.Â
Tous ses repères étant en train de s’écrouler, la vie de Scarlett va alors être complètement ébranlée par la Guerre de Sécession. Désormais maman d’un petit garçon, notre héroïne va perdre son mari malade et tous ses acquis dans la Géorgie en feu : quand elle revient à Tara, elle découvre sa mère morte et son père sombrant dans une folie douce, le domaine paternel ayant été ravagé. Comme la famine la guette, ce personnage aussi attachant que détestable va devoir se retrousser les manches. En se battant pour sa survie et celle de sa famille, Scarlett devient déterminée, froide et calculatrice, perdant peu à peu toutes ses illusions. Cependant, au milieu de la destruction et de la mort, elle rêve toujours de son adoration pour Ashley. À moins que le séduisant et immoral Rhett Butler, homme sans foi ni loi qui joue avec elle comme le chat avec la souris, puisse rebattre les cartes ?
L’histoire, avec ses impossibles amours aussi romantiques que violents et ses personnages cultes, est bien connue… mais s’appropriant l’œuvre tout en la respectant, avec sa formidable et énergique mise en cases et en images,Pierre Alary (1) réussi l’exploit de nous faire croire à une première lecture et à la découverte de ce drame du Sud : roman intemporel de Margaret Mitchell, pourtant best-seller absolu depuis sa parution en 1936 !Â
Superbes récit et dessins, découpage rythmé, subtil travail sur les couleurs — aux teintes souvent orangées — et sur les ombres, réadaptation intelligente des dialogues petit-nègre qui restent toutefois savoureux et construction homogène tout au long des 145 pages de ce premier tome, sans parler de la belle parure éditoriale avec un papier de qualité et un dos toilé… l’ensemble est magnifique. Et la suite et fin dans la deuxième époque ne devrait pas tarder… nous avons hâte !
(1) Sur Pierre Alary, voir, par exemple, sur BDzoom.com : « Don Vega » : la naissance de Zorro selon Alary !, « Conan le Cimmérien T1 : La Reine de la côte noire » par Pierre Alary et Jean-David Morvan et « T2 : Le Colosse noir » par Ronan Toulhoat et Vincent Brugeas, « Mon traître » par Pierre Alary, « Moby Dick » par Pierre Alary et Olivier Jouvray [d’après Herman Melville], « Silas Corey » T1 (« Le Réseau Aquila 1/2 ») par Pierre Alary et Fabien Nury, Belladone T1…
« Gone with the Wind » T1 par Pierre Alary, d’après Margaret MitchellÂ
Éditions Rue de Sèvres (25 €) — EAN : 978-2-81020-219-5