Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...La jeunesse rebelle de Gisèle Halimi…
On connait tous Gisèle Halimi (1927–2020), l’avocate politiquement engagée, altermondialiste, défendant les femmes contre les abus masculins, notamment lors de procès liés à des viols (désormais, grâce à elle, considérés comme des crimes), favorable au droit à l’avortement, inlassablement du côté des droits et de l’égalité homme/femme… Mais on connait moins – ou pas – sa jeunesse et cette éducation tunisienne qui la construitet et contre laquelle elle se révolte : et c’est tout l’intérêt de l’album « Gisele Halimi : une jeunesse tunisienne » signé par Sylvain Dorange et Danièle Masse.
L’histoire de Gisèle Halimi est totalement liée à sa naissance à Tunis en 1927 dans une famille au modèle fortement patriarcal. Le père est d’origine berbère et la mère juive séfarade. Dans ce contexte, la naissance d’une fille est ressentie comme une malédiction par ce père qui mettra des années à apprécier cette gamine intelligente, ambitieuse qui, très tôt, veut devenir avocate, dans un monde où la réussite d’une femme n’est liée qu’à son mariage.
 Gisèle a un frère qu’on pousse dans les études à grands renforts de cours particuliers, mais pour Gisèle, brillante, cultivée, aucun effort de la part de sa famille qui réprouve ce caractère indépendant. Gisèle refuse peu à peu d’être le larbin de son frère, tout comme elle a horreur de ce modèle familial où la mère dépend du mari, ne sortant pas, n’ayant aucune vie personnelle.
 Gisèle est une battante, une révoltée, remettant en cause les traditions, les croyances qui l’entourent et qui auraient pu la formater. Très tôt, elle est décidée à aller jusqu’au bout pour lutter contre les soumissions imposées aux filles et aux femmes. C’est un parcours passionnant que cette jeunesse racontée avec force par Danièle Masse, d’autant que le dessin et les couleurs de Sylvain Dorange donnent beaucoup d‘attrait à cette chronique.
 Les décors tunisiens chaleureux nous invitent à savourer le quartier balnéaire de La Goulette, les ruines de Carthage, les mosaïques du musée dans les pas d’un père qui s’engage politiquement, alors que la révolte gronde : un père qui finit par apprécier que sa fille veuille devenir avocate pour lutter contre les oppressions, le colonialisme, les injustices, les tyrannies masculines, les racismes…
À l’heure où tant de femmes de par le monde se retrouvent de plus en plus réduites à se taire, à se cacher, humiliées, voilà un album passionnant et un très beau portrait de femme libre, révoltée, exemplaire, qui arrive à Paris en 1945, à 18 ans, pour un nouveau parcours et de nouveaux défis racontés en quelques pages en fin d’album.
Didier QUELLA-GUYOTÂ ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/
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« Gisele Halimi : une jeunesse tunisienne » par Sylvain Dorange et Danièle Masse
Éditions Delcourt (17,95 €) – EAN : 9782413042716
Parution 15 février 2023
Nous avions à un moment donné en France un bon paquet d’hommes et de femmes politiques, tous bords confondus, qui avaient un sacré vécu et une expérience riche et formatrice.
Faut-il des épreuves à répétition pour obtenir des personnalités marquantes et d’une certaine façon généreuses ? Sûrement…
Cette bd le prouve en tout cas.
J’ai eu la chance de rencontrer Mme Halimi lors d’une réunion publique, et c’est une personne qui m’avait grandement impressionné par son humanité.