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De grandes et de petites histoires qui font de belles bandes dessinées aux éditions Nathan…

12/02/2023
Par Laurent Lessous

Les éditions Nathan développent, depuis peu, de belles collections à destination des jeunes lecteurs. Nous avons sélectionné, pour leurs qualités narratives et graphiques, deux titres qui s’adressent à un lectorat ado-adulte : le récit d’initiation en partie autobiographique « Les Grandes et les Petites Choses » d’Aude Massot et Rachel Khan et l’étonnante et jouissive adaptation d’une fiction radiophonique intitulée « L’Incroyable Expédition de Corentin Tréguier au Congo ».

Commençons par « Les Grandes et les Petites Choses » : ce bel album cartonné de 160 pages est l’adaptation du roman éponyme par son autrice ; Rachel Khan. Née en 1976 cette Tourangelle vient d’une famille cosmopolite : père Gambien, professeur d’anglais en université et mère libraire, d’origine juive ashkénaze. Elle se définit donc comme une Afro-Yiddish-Tourangelle !

Athlète de haut-niveau dans sa jeunesse : championne de France minime du 60 m et championne de France du 4×100 m, entre autres titres, elle termine ensuite de brillantes études en droit avant de faire carrière comme conseillère politique et d’être la marraine du prix 2021 de la laïcité de la République française.

Très éclectique et curieuse de tout, elle entame au mitan des années 2010 plusieurs carrières artistiques en même temps : actrice au cinéma ou comédienne sur les planches de théâtres, elle devient aussi autrice d’essais comme « Racée » et d’un premier roman d’inspiration autobiographique paru en 2016 (« Les Grandes et les Petites Choses »).

C’est ce roman qu’elle adapte en bande dessinée pour le trait souple et coloré d’Aude Massot. Elle y raconte quelques années de sa jeunesse entre scolarité, cocon familial, remarques sexistes et racistes et découverte de l’athlétisme. Nina, son double en bande dessinée peine à trouver ses marques dans une société qui aime enfermer les individus dans des cases prédéfinies. Dans sa famille multiculturelle et ouverte, pas de soucis d’identification avec un père noir et musulman un grand-père juif au fort accent polonais et une mère protectrice, mais les problèmes surgissent dès qu’elle sort de l’appartement familial.

Recalée de son cours de danse classique, car le corps de ballet doit être homogène et que la Belle au bois dormant n’a jamais été noire, elle subit aussi la notation raciste d’un enseignant pour qui sa couleur de peau l’empêchera de réussir dans les études. Par hasard, elle découvre qu’elle possède des qualités naturelles en athlétisme. Avec beaucoup de travail, son entraineur lui promet de fort belles performances. Contrairement aux hommes, le chronomètre est lui un juge impartial.

On se laisse emporter par le souffle vivifiant de cette autofiction centrée sur la recherche d’identité d’une adolescente en quête d’elle-même, sans modèle prédéfini.

L’héroïne en colère contre toutes les brimades qu’elle subit au quotidien, trouve dans la course de sprint un moyen de canaliser cette colère, de s’affirmer et de réaliser à son niveau ce que porte d’universel la devise de la république : liberté, égalité et fraternité.

Ce beau récit d’initiation est traversé de moments forts, parfois dramatiques qui rendent encore plus émouvante l’affirmation de l’héroïne.

Dans un registre complétement différent, un mot maintenant de « L’Incroyable Expédition de Corentin Tréguier au Congo ». Cette bande dessinée iconoclaste de 120 pages est tirée du podcast du même nom d’Emmanuel Suarez en dix épisodes diffusé sur France Culture en 2020. Avec plus d’un million d’écoutes, c’est la première fiction radiophonique de France.

L’action se déroule en 1872, quand un scientifique français disparait soudainement sur les rives du fleuve Congo. Sur un malentendu, le jeune et naïf officier Corentin Tréguier est envoyé en Afrique pour mener une enquête discrète, car il se pourrait que le biologise se soit transformé… en singe ! L’honneur de la Nation est en jeu, d’autant que les Belges, intéressés par la région, placent une espionne auprès du timide Corentin. C’est au cœur de la forêt équatoriale que l’intrigue se dénouera avec fracas. Tous les membres de l’expédition en auront appris beaucoup sur eux-mêmes et sur les autres. De quoi remettre en question la colonisation d’un continent encore peu exploré par des puissances européennes avides de ses richesses.

Cette bande dessinée d’aventures africaines détaille avec une ironie grinçante la réalité d’une expédition précoloniale européenne. C’est à travers le regard d’un militaire non violent, sentimental et profondément humain que l’inhumanité de la colonisation apparait sous les oripeaux d’une mission civilisatrice.

Le beau dessin ligne claire de Pierre-Yves Berhin (Hamo) est parfait pour mettre en évidence le côté sarcastique du scénario. Le titre évoque bien sûr, avec une dérision certaine, l’épopée d’un jeune reporter belge, près de 60 ans plus tard.

Verrons-nous Corentin Tréguier s’envoler bientôt vers la Russie tsariste ou les États-Unis en construction ? Nous espérons de notre côté le retrouver dans une nouvelle uchronie positive et malicieuse.