Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Les Grandes Batailles de chars » : tank qu’il y aura des guerres…
Avec sa nouvelle série conceptuelle, Glénat annonce la couleur : après « Les Grandes Batailles navales », place aux « Grandes Batailles de chars » ! Si Jean-Yves Delitte était à la barre de la précédente, c’est ici le scénariste Dobbs (également auteur des deux premiers tomes de « La Véritable Histoire du Far-West » depuis mai 2022) qui devient directeur d’écriture (voir interview). Avec « Les Ardennes » (dessin par Fabrizio Fiorentino) et « El Alamein » (Thierry Lamy et Alessio Cammardella), les tanks sont lâchés sur tous les fronts. Le récit fulgurant d’affrontements majeurs, guerres mécanisées sans complaisances et aux conséquences décisives pour tous ceux qui en furent les acteurs… souvent malheureux.
L’actualité télescope parfois la fiction, quand elle ne se place pas carrément en miroir des événements passés. Hasard du calendrier : Glénat propose cette nouvelle série dédiée à l’instant même où les alliés de l’Ukraine se préparent à livrer des chars lourds contre l’agresseur russe. Allemagne, Pologne, Norvège, Espagne ou – peut-être – France devraient ainsi envoyer vers Kiev des Leopard 2 et Challenger 2 (à défaut des chars Leclerc ou des Abrams américains) dans l’espoir d’enrailler une invasion débutée voici un an, le 24 février 2022. Un symbole, dans la mesure où le char est encore emblématique de l’ensemble des guerres contemporaines. En attendant un futur SF annoncé, constitué de drones, robots, exosquelettes et pistolets lasers ?
Si l’on remonte la ligne chronologique des grandes batailles de chars, il faut tout d’abord rappeler que le sujet n’a qu’un siècle : avant la Somme (en septembre 1916), point de chars de combats, sauf à se remémorer les chars antiques, massivement utilisés par les Hittites et les Égyptiens lors de la bataille de Qadesh (au sud de l’actuelle Syrie) en 1274 avant J.-C. Apparemment puissant, l’engin blindé n’est pourtant rien dès son vrombissant surgissement, sans mécanos, obus de rechange, pilotes entrainés, génie de combat, guidage radio… et artillerie antichar efficace. Structurés en corps, divisions ou brigades, des chars peuvent réaliser des miracles en termes de percées militaires : de la Deuxième Guerre mondiale au désert irakien (1991) en passant par le plateau du Golan (1973), les combats de chars contre d’autres chars sont cependant toujours restés exceptionnels, l’appui aérien étant notamment devenu indispensable. Aujourd’hui encore, bien des pays alignent des dizaines des chars comme garantie d’un État fort et d’une souveraineté militaire : reste à savoir s’ils résisteraient vraiment aux drones ultramodernes et aux fantassins lanceurs de missiles Javelin. Là encore, le théâtre ukrainien a dramatiquement illustré la réalité des engagements contemporains…
Venons en à l’actuelle série conceptuelle publiée chez Glénat, en compagnie de Dobbs :
D’où est venue l’idée de cette collection ?
Dobbs : « L’idée vient de plusieurs personnes entre 2018 et 2019. Olivier Jalabert, alors éditeur chez Glénat, en avait discuté avec le directeur artistique maison, Christian Bondel, et avec l’historien-iconographe Stéphane Dubreil. Il y avait matière, après le succès des « Grandes Batailles navales », de faire une variante axée sur les chars de combats qui sont longtemps demeurés le fer de lance des armées modernes. Un sujet passionnant au demeurant tant d’un point de vue historique que technique et humain. Habitué à travailler avec des historiens et sur des séries concepts, ils m’ont contacté assez tôt pour réfléchir au thème et devenir directeur d’écriture pour ce concept. Aimant les récits de genre et étant moi-même diplômé en Histoire militaire, je ne pouvais refuser pareille offre. »
D’autres pistes que la Deuxième Guerre mondiale ? Combien d’albums prévus au total ?
« L’idée maitresse, c’était de suivre le destin tragique de certains de ces monstres mécaniques et de leurs équipages, au cÅ“ur de plusieurs batailles marquantes, de 1916 à nos jours. Les premiers tomes sont plutôt liés à la Seconde Guerre Mondiale (« Les Ardennes », « El Alamein », « Koursk »…), mais un tome portant sur le 1er conflit mondial est programmé, ainsi que deux autres sur des conflits plus modernes. Plusieurs autres scénaristes ont été recrutés pour participer à cette grande aventure (Thierry Lamy, Gaet’s et Vincent Brugeas) et donner aux artistes (Fabrizio Fiorentino, Alessio Cammardella ou encore Antonello Becciu) la matière nécessaire pour s’approprier des récits tragiques de nos protagonistes militaires. Une première saison de six tomes est lancée pour le moment, nous verrons quel accueil leur est réservé pour donner suite sur d’autres conflits et machines de guerre. »
Des dossiers historiques complémentaires ?
« Pour ces récits des « Grandes Batailles de chars », il y aura à chaque fois huit pages de cahiers additionnels. Ils détailleront l’offensive du tome et la place de l’unité suivie dans un contexte plus global, avec synthèses de Stéphane Dubreil, cartes tactiques du cartographe et data designer Julien Peltier, ainsi que les profils des tanks principaux des tomes par l’illustrateur Vincent Bourguignon. »
Question rituelle de notre rubrique : quid du choix des couvertures ?
« J’ai contacté mon ami Elia Bonetti pour connaitre ses disponibilités, sachant qu’il avait fait de magnifiques illustrations sur la Seconde Guerre Mondiale (très expressives, réalistes et bourrés de détails). Nous nous sommes mis d’accord avec Christian Blondel sur une approche graphique, un process de composition, des angles d’actions pour que chaque tome soit marquant dans l’accroche de sa couverture, raconte une histoire avec le 4e de couverture et soit homogène sur la collection tout entière. Je pense sincèrement que c’est mission réussie, elles sont splendides et impactantes, fourmillant de détails tout en restant très dynamiques. »
Directement confrontées à la concurrence initiée chez Delcourt avec la série « Machines de guerre » (six tomes parus depuis 2016 ; scénarios par Jean-Pierre Pécau), « Les Grandes Batailles de chars » ne lésinent pas sur les scènes d’action. Dans « Les Ardennes : lâchez les fauves », perdu dans le brouillard glacé lors de la grande contre-offensive allemande de l’hiver 1944, un chef de char Panther son équipage tentent de survivre malgré les difficultés de communication et l’omniprésence américaine. Dans « El Alamein : de sable et de feu », les troupes de Rommel font face – durant l’été 1942 – à la 8e armée du général britannique Auchinleck : dans la touffeur et l’épuisement général, les chars feront-ils la différence ? Les lecteurs, quant à eux, n’auront pas le temps de souffler, emportés par la vigueur d’un récit (ne transformant pas ses protagonistes en héros) et un dessin faisant la part belle aux splash pages dignes des comics et au photoréalisme chromatique. À suivre : « Koursk » et « La Marne ».
Philippe TOMBLAINE
« Les Grandes Batailles de chars T1 : Les Ardennes » par Fabrizio Fiorentino et Dobbs
Éditions Glénat (15,50 €) – EAN : 978-2344044285
Parution 8 février 2023
« Les Grandes Batailles de chars T2 : El Alamein » par Alessio Cammardella et Thierry Lamy
Éditions Glénat (15,50 €) – EAN : 978-2344044308
Parution 8 février 2023