Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Partie de criquets dans le désert…
Si vous aimez les déserts, notamment ceux du Sahara, alors « Point Zéro » est fait pour vous. Vous allez pouvoir vous égarer, vous perdre, dans les pas d’un drôle d’explorateur, un solitaire pas comme les autres, hanté par des criquets noirs venus semble-t-il anéantir le monde…
Le personnage travaille dans la préservation des végétaux et, à cause de cela, il est obsédé par ces criquets estimant que leur invasion cache quelque chose de grave, de très grave. Il les traque dans son 4×4 pour savoir d’où ils viennent exactement et s’enfonce dans le désert. Seul ? Non ! Au début, il a son guide Ahmed : un sage et un fin connaisseur du désert. Il lui en explique les difficultés, les risques, les folies et l’avertit. Plus qu’un guide, c’est un philosophe.
Dès les premières pages de l’album, un accident nous prive de lui : séquence pré-générique qui nous fait alors remonter le temps… Tout bascule, on ne sait plus si le héros vit, s’il rêve, s’il délire où s’il s’agit d’explorations solitaires plus anciennes. Toujours est-il qu’il pense et converse régulièrement avec un « esprit » qui vient le voir toutes les nuits et qui lui pose les bonnes questions sur sa passion du désert.
Le mystérieux Imashek le pousse en effet à réfléchir. Pourquoi aime-t-il à ce point ces contrées ? S’il veut sauver les hommes, pourquoi apprécie-t-il autant la solitude ? Est-ce être libre qu’être seul ?  Le héros en convient : « La première fois que je suis venu ici, c’est comme si le monde s’était tu, je peux réfléchir à mon gré ici, dans le vide. Ma conscience ne s’accroche à rien. Elle glisse. ».
Au fil de récits légendaires, Imashek le pousse dans ses retranchements, évoque « l’essouf », un monde invisible, le diable… Au fil de cauchemars aussi. Où est la réalité dans cet univers qui semble sans passé, ni présent, ni futur ? « La réalité, dit Imashek, est un reflet dans le miroir de la vérité, un mirage dans l’oasis du vrai, une ombre toujours rattachée à son origine »… Beaux sujets de philosophie !
Ce que la narratrice Abir Gasmi a imaginé, le dessinateur Kamal Zakour s’en est parfaitement saisi, multipliant de son trait réaliste, le plus souvent en noir et blanc, ces décors pierreux, ces étendues vertigineuses, ces nuits inquiétantes aux ciels si étoilés, nous invitant tous les deux à une étonnante virée dans le désert…
Didier QUELLA-GUYOTÂ ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/
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« Point Zéro » par Kamal Zakour et Abir GasmiÂ
Éditions Alifbata (20 €) – EAN : 97829570554534
Parution 27 janvier 2023
Kamal Zakour est le dessinateur et Abir Gasmi la scénariste et non l’inverse…
https://www.monde-diplomatique.fr/mav/181/ZAKOUR/64294
Merci pour la remarque. Petite erreur de texte corrigée. Mais les références étaient justes.