Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Elsa est inconsolable après la perte de son poisson rouge. Elle entame, alors, à partir d’un plongeon dans les toilettes familiales, un voyage onirique et initiatique dans un monde étrange : celui des animaux perdus, abandonnés par leur maître et morts peu après. De quoi en apprendre beaucoup sur les rapports entre l’homme et les animaux qui nous accompagnent dans une bande dessinée jeunesse d’une grande beauté formelle : « Le Monde des animaux perdus ».
Elsa, huit ans, est triste. C’est la fin des vacances et la rentrée ne l’enchante guère. La jeune fille un peu ronde a peu d’amis. Solitaire, à la compagnie des jeunes de son âge, elle préfère rester dans sa chambre et lire des poèmes à Aldo : son fidèle poisson rouge. Depuis son aquarium, celui-ci observe impassible les disputes entre Elsa et sa grande sœur Adèle. L’adolescente ne supporte pas la passivité d’Elsa et voudrait qu’elle sorte davantage du pavillon familial. Aussi, quand un matin Aldo ne se réveille pas et, le ventre à la surface de l’eau, semble bel et bien mort, Adèle n’hésite pas et le jette dans la cuvette des toilettes. Elsa, elle, est horrifiée. Elle essaye de ramener Aldo à la surface à l’aide d’une ventouse. Cela a pour effet de provoquer une sorte de vague au fond des toilettes. Intriguée, Elsa s’équipe d’un maillot de bain, d’un masque et d’une bouée portative et plonge au fond du cabinet. C’est le début d’un voyage extraordinaire.
Ce n’est pas de l’autre côté du miroir comme Alice, mais de l’autre côté des toilettes qu’Elsa découvre un monde mystérieux, onirique, peuplé d’animaux bienveillants. Après avoir été sauvée de la noyade par un poisson géant, elle marche sous de larges voutes éclairées par des grenouilles fluorescentes et rencontre des ombres d’animaux défunts qui pensent aux meilleurs moments de leur vie d’animaux domestiques avant leur lâche abandon à cause de leur vieillesse, du coût des soins ou d’un déménagement. Elsa dialogue avec certains d’entre eux pour trouver Aldo et savoir s’il est possible de le ramener dans son monde.
Parfois, entre deux rencontres animalières mouvementées, elle croise la route d’un jeune garçon japonais ; malheureusement, ils ne se comprennent pas. À l’issue de ses pérégrinations au cœur du monde des animaux perdus, Elsa reviendra dans sa maison riche de belles expériences et prête à s’ouvrir aux autres. Même s’il pleut, elle aborde sereine la rentrée scolaire en CE2.
Après une satire du monde de la malbouffe en 2018 dans « Junk Food », l’autrice suisse Noémie Weber nous offre avec « Le Monde des animaux perdus » une superbe bande dessinée jeunesse portée par un dessin précis et inventif. Elle crée un bestiaire qui mêle classicisme et nouveautés bienvenues : corbeaux, chats et tortues traditionnellement associés aux fables de La Fontaine croisent ici perroquets du monde des pirates de Stevenson, hamster géant, référence directe à un album du regretté Fred : « Simbabbad de Batbad » des aventures du rêveur Philémon.
Les rencontres successives d’Elsa sont l’objet de séquences poétiques parfois amusantes, parfois émouvantes, toujours surprenantes.
De quoi traiter, dans un album qui peut se lire dès l’âge de dix ans, des thématiques riches et fortes comme le deuil nécessaire pour les enfants après la perte d’animaux chéris, mais aussi la tragédie de l’abandon d’animaux domestiques et de la maltraitance animale, la responsabilité que l’on peut avoir très jeune d’un animal, ou la mémoire qui s’efface inexorablement, même pour des êtres chers.
Nourrie de références assumées au mythe d’Orphée à « Alice au pays des merveilles » de Lewis Caroll, à « L’Enfer » de Dante, au monde animal des dessins animés d’Hayao Miyazaki ou encore aux « Animaux célèbres » de Michel Pastoureau, la quête initiatique narrée dans « Le Monde des animaux perdus » ravira par plus d’un lecteur curieux ; enfant ou adulte.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Le Monde des animaux perdus » par Noémie Weber
Éditions Gallimard (14,00 €) – EAN :  978-2-07-514976-1
Parution 7 septembre 2022