La France vue par une Indonésienne…

Quand en tant que voyageur français, on séjourne à l’étranger, on observe, on remarque les différences de modes de vie, on compare, on critique… Mais on néglige généralement ce que le voyageur étranger observe, remarque et compare quand il vient ou vit chez nous. Et c’est à la fois passionnant et cruel, ce regard de l’autre sur nous…

Madame en Indonésien se dit Ibu, d’où le surnom que lui donne l’auteur dès le premier volume qu’il lui consacre en 2021 :« Ma voisine est indonésienne ». Cette voisine, traductrice, visitait alors un coin de France différent tous les week-ends, de Niort à Lyon, en passant par Charleville-Mézières, Grenoble, Dieppe ou Châteauroux. Déjà, elle comparait la vie, là-bas, et la vie, ici…

Ce nouveau volume est l’occasion pour l’auteur de continuer ces échanges interculturels qui, certes, nous apprennent beaucoup des rites, croyances, habitudes indonésiennes, mais nous font prendre conscience des nôtres, au fil de courtes séquences de deux pages, souvent terminées par une note d’humour, et prépubliées sur Instagram.

Madame Hibou est du genre à s’asseoir dans un jardin et à regarder passer les gens pour en repérer les travers. Son regard, quelquefois naïf, mais souvent perspicace, nous révèle à nous-mêmes dans ce que notre société a d’excessif ou d’insuffisant, de superficiel ou d’intelligent. Comme elle dialogue avec l’auteur, les informations se croisent, se complètent, s’enrichissent. Ce n’est donc pas une vision à sens unique, ce qui en fait tout l’intérêt.

Loin de s’extasier sur notre patrimoine culturel, ce sont plutôt les aspects du quotidien qui retiennent son attention : dans un supermarché, dans la rue, dans une gare, dans un parc (chose étonnant que de voir les feuilles tomber à l’automne venant d’un pays ou cette saison n’existe pas) et tout ce qui concerne la cuisine : nos recettes, l’ordre de nos plats dans un menu, les street-food, l’alcool… Madame Hibou s’interroge aussi sur notre romantisme, notre manque de naturel, notre façon d’éduquer les enfants ou notre sens de l’amour (elle pense qu’on a « un problème avec l’amour »), et tant d’autres choses en apparence anecdotiques et qui, finalement, ne le sont pas tant que ça. De ce point de vue, les 160 pages de l’album sont une mine de réflexions et de connaissances.

Rappelons qu’Emmanuel Lemaire avait également signé « Rotterdam : un séjour à fleur d’eau », chez le même éditeur, en 2016. Rotterdam à vélo aurait pu être le sous-titre, car c’est bien de cette manière que l’auteur découvrait la ville batave, plate et posée sur les polders, Lemaire se plaisant à dessiner les buildings, les ponts, tout ce que l’architecture dresse de lignes et de vitrages, de rues, de grues aussi et de containers. L’auteur comme un guide en révélait aussi les particularités, les traditions, les petits secrets : la respectable fête de la Reine, les vénérables frites mayo, l’art de pédaler, le carnaval des Caraïbes… et son dessin à la fois méticuleux et caricatural en restitue indéniablement l’intérêt !

Didier QUELLA-GUYOT ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/

[L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook.

« La France vue par Madame Hibou » par Emmanuel Lemaire

Éditions Delcourt (17,95 €) – EAN : 9782413045069

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