Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Dans la Russie des années 1990…
À l’heure où les rêveries mégalomaniaques de Poutine font que la Russie fait tragiquement partie de l’actualité, Pierre-Henry-Gomont s’intéresse à celle d’avant l’invasion de l’Ukraine : bien avant, celle des années 1990. La Russie est déjà un monde en pleine décomposition et l’auteur de « Slava » s’est attaché à la raconter…
Comme il le dit en avant-propos, quand il a commencé à écrire cette histoire : « il n’était pas encore question du drame qui se joue en ce moment en Ukraine », ajoutant : « Dans le gant de fer de Poutine, le peuple est muselé embarqué dans une guerre inepte. » Ce qui motivait Gomont, c’était d’observer cette Russie « libérée du joug communiste » et « livrée en pâture au capitalisme le plus sauvage », celui notamment d’oligarques « surpuissants et voraces ».
Pour autant, ce sont des personnages de la vie courante qui peuplent ces pages, des gens ordinaires qui ont compris pour certains que pour s’en sortir, il ne fallait pas trop de morale et que trafiquer était le seul moyen restant à leur disposition. Quant à savoir où cela se passe exactement, le récit se situe dans un endroit indéfini des montagnes du Caucase, « très inspiré des mines de Chiatura en Géorgie. »
Le héros est un certain Dimitri Lavrine, pour lequel tout s’achète et tout se revend, et ce qui ne s’achète pas peut se voler et se revendre ! Comme l’indique un des protagonistes : Lavrine « a la résilience d’un cafard, l’amour-propre d’une charogne et la conscience morale d’un tabouret de cuisine. » À ses côtés, compagnon d’infortune : le jeune Slava Segalov. Le jeune homme est plutôt artiste, mais, pour diverses raisons, il a plutôt renoncé à le devenir. Enfin, n’oublions pas la séduisante Nina qui ne s’en laisse pas conter dans cet univers d’escrocs, de pilleurs et de manipulateurs en tous genres.
S’ensuit un road-movie rocambolesque et trépidant, car rien évidemment ne se passe comme prévu et qui, plus est, Lavrine est un beau-parleur, dont les certitudes mercantiles sont loin d’être toutes réalisables ! On ne s’ennuie pas une minute avec de tels individus, pittoresques, lamentables ou drôles, lors de rencontres foireuses, de fuites lamentables, de tractations hasardeuses dans des décors improbables, notamment ces complexes thermaux désertés et pillés. Le tout, non sans humour !
Outre ce récit qui n’en est qu’à son premier volet, Gomont a également pour nous séduire un style graphique inimitable et une façon exceptionnelle de jouer sur les idéogrammes. On se rappelle ses albums précédents, déjà très voyageurs, chroniqués ici-même et déjà étonnants : l’Afrique de « Malaterre » (2018), le Portugal de « Pereira prétend » (2016), l’Inde de « Rouge Karma » (2014). L’ensemble de ces différents titres constitue déjà une œuvre remarquable…
Didier QUELLA-GUYOTÂ ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/
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« Slava T1 : Après la chute » par Pierre-Henry Gomont
Éditions Dargaud (20,50 €) – EAN : 9782505115250
Parution 26 août 2022
Bizarre de parler d’idéogrammes à propos de l’alphabet cyrillique.