Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...La liberté, l’égalité, et surtout la fraternité pour de jeunes révolutionnaires…
Eté 1792, la Révolution française connait un tournant décisif : le 10 août, le roi est fait prisonnier après la prise des Tuileries par les fédérés. Début septembre, des prisonniers monarchistes sont massacrés dans les prisons parisiennes. Une comtesse et sa jeune fille voyagent de nuit pour fuir la violence de la capitale : mal leur en prend ! La petite Célénie se retrouve alors seule et sans défense, dans les rues malfamées de Nantes. Elle pourra cependant compter sur l’aide d’enfants des rues pour survivre à bien des dangers.
C’est accompagné par une escorte armée que le carrosse de la comtesse de Montencourt file à bonne allure dans la nuit. Cette protection se révèle bien trop fragile quand, au cœur d’une sombre forêt, ils tombent dans un guet-apens. Le précepteur Monsieur Lalouette et la jeune Célénie ont pu s’enfuir : ce sont les seuls survivants de cette équipée. Après plusieurs jours de marche, ils arrivent à Nantes où l’enseignant espère trouver refuge dans l’hôtel particulier du marquis de Valoire, l’oncle de l’orpheline. Malheureusement pour ce duo d’infortune, c’est cet aristocrate avide qui a fomenté l’attentat pour capter l’héritage de Célénie. La jeune fille, qui écoute aux portes en prend conscience, s’enfuit dans les rues de la métropole.
Elle a peu de chances d’échapper aux sbires que son oncle a envoyé à ses trousses ni aux malandrins du chef des brigands nantais : le très redouté Mange-doigts. Mais la providence met sur son chemin des gamins des rues qui, après réflexion, décident de la protéger. L’astucieux Antoine – dit Toine, dit Pince-mitraille – a fui une mère trop portée sur la dive bouteille, et ses doigts agiles lui permettent de détrousser les bourgeois. Son grand ami Titor, abandonné à la naissance, est le loyal protecteur de Toine et de Mélina. Cette métisse, fille d’un marin breton et d’une créole des îles est intelligente et mature. C’est elle qui permet à la jeune aristocrate de s’intégrer au groupe des Princes misère.
Les quatre enfants, désormais égaux dans la précarité, ont fort à faire dans le quartier populaire du Bouffay.
Ils doivent survivre de petites rapines et de mendicité, échapper aux vauriens de Mange-doigts, ainsi qu’aux sbires du marquis de Valoire, sans oublier des policiers plus ou moins corrompus ; tout cela dans une ville de Nantes déjà atteinte par les idées et les mouvements révolutionnaires.
La révolution vient d’être sauvée par la victoire de Valmy et la république proclamée. La ville de Nantes va bientôt être projetée au cœur des événements les plus violents de cette période révolutionnaire, mais est-ce que cela permettra de sauver Célénie ?
Seule la suite de la série nous le dira.
Le premier volume de « Révolutionnaires ! » nous a véritablement bluffé. Parfaitement rythmé, historiquement documenté, il permet de s’immerger, à hauteur d’enfants, dans une ville de province au début de la Convention. Nous devons cette réussite au scénario de Régis Hautière, auteur de la série culte « La Guerre des Lulus » où avec le même procédé, il nous permettait de suivre un groupe d’enfants, puis d’adolescents, pendant la Première Guerre mondiale. Ce récit vivant, parfois truculent, est mis en images dans un style semi-réaliste classique et efficace par Xavier Fourquemin. Son trait précis et ses cadrages variés donne vie aux quartiers populaires de Nantes, de l’île Feydeau au Bouffay et au quai de la fosse. Il rend compte du foisonnement du port et de la ville de Nantes au XVIIIe siècle. La cité s’est enrichi avec le commerce triangulaire, on y croise alors des Africains, des Irlandais, des commerçants protestants, des Acadiens…
C’est une véritable métropole cosmopolite qui va subir, à partir de 1792, les pires violences révolutionnaires : proche des révoltes vendéennes et chouannes, le représentant en mission Carrier va y appliquer une terreur particulièrement brutale. Nul doute que la suite de la série nous révélera comment le groupe des Princes misère survivra au milieu de cette époque troublée.
C’est Régis Hautière lui-même qui s’est chargé du riche dossier documentaire qui clôt l’album avec des focus intéressants sur la prise de la Bastille, la société d’Ordres, la constitution civile du clergé ou les massacres de septembre 1792. Pour le scénariste : « Prendre de jeunes héros lors de périodes historiques troublées comme la Première Guerre mondiale ou la Révolution française permet d’éviter les grandes batailles et les grands hommes, d’être plus proche de l’humain et de la banalité du quotidien. On vit l’Histoire avec ceux qui la subissent. » Nous prendrons plaisir à vivre l’histoire de la révolution à Nantes avec les jeunes révolutionnaires de Fourquemin et Hautière. « Ah ! ça ira, ça ira, ça ira », au moins jusqu’au tome 2.
.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Révolutionnaires T1 : Les Princes misère » par Xavier Fourquemin et Régis Hautière
Éditions Le Lombard (12,45 €) – EAN :  978-2-8082-0486-6
Parution 2 septembre 2022