Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« L’Épée » : de l’heroic-fantasy avec une princesse qui se passe très bien de prince charmant…
Dans le monde d’Ania, la magie règne et l’on peut craindre la venue d’un dragon démoniaque. Dans cet univers d’heroic-fantasy, les codes du genre sont peu à peu pervertis. Ainsi, Ania est une princesse héritière qui se pose beaucoup de questions. Elle s’interroge sur l’histoire de son royaume, sur la manière de gouverner de la reine mère (qui n’est d’ailleurs pas sa mère) et, surtout, sur elle-même. « L’Épée » est une charmante fantasy finement féministe !
Tout royaume a besoin de légendes communes pour souder sa population. Dans celui d’Ania, on croit, qu’il y a fort longtemps, les héritiers du trône, deux jumeaux, se disputèrent une épée qui désignait celui qui devait gouverner. Leur bataille réveilla un démon malfaisant qui détruisit leur pays et enleva, à ses habitants ,les pouvoirs magiques que tous possédaient. Depuis lors, la magie est détenue par une seule personne qui l’utilise à sa guise : une reine au pouvoir absolu.
Mais un autre récit des origines coexiste avec cette légende. Dans celui-ci, un héros muni d’une épée surnaturelle arrive dans le royaume avant l’apparition du démon. Il dote les hommes de pouvoirs magiques, afin de les aider à répandre le bien. Mais avec l’arrivée d’un terrible démon, le héros se volatilise avec son épée et un peuple d’égaux perd ses pouvoirs magiques. La solitaire Ania découvre cette seconde genèse gravée dans les ruines d’une cité interdite. Elle ne sait qu’en penser.
La jeune princesse se pose beaucoup de questions et pas seulement sur l’histoire de son pays. Si elle est la seule à disposer de pouvoirs magiques avec la reine mère, elle ne comprend pas pourquoi il ne faudrait pas répandre ceux-ci.
Elle doute de l’utilité de faire vivre la grande famille royale dans un palais gigantesque coupé du reste du monde et de la politique autoritaire de la reine.
Son destin est scellé quand elle découvre une épée qui ressemble à celle des bas-reliefs de la légende dans les ruines interdites.
Quand la reine l’apprend, elle décide de confier une mission à Ania aux confins nord du royaume.
C’est dans des contrées froides et hostiles qu’Ania poursuit son enquête dans une étrange forêt qui semble appartenir à un autre monde, bien loin de l’hiver éternel qui l’entoure. Elle y trouve les réponses qu’elle n’espérait plus et fait une rencontre qui change son avenir et celui du royaume. Il lui faut maintenant retourner au palais et se confronter à la reine et au démon qui sommeille dans une source bien cachée.
Les éditions Çà et là nous font découvrir, depuis trois ans, les bandes dessinées singulières de l’Espagnole Anabel Colazo. C’est l’autrice du troublant « Proches Rencontres » et du récit fantastique « Ne regarde pas derrière toi » dans lequel elle interpellait le lecteur sur les dangers des Creepypastas : des petites fictions terrifiantes diffusées sur Internet et qui peuvent avoir des conséquences néfastes. Plusieurs meurtres ont été commis par des adolescents, à la suite de leur visionnage. Pour elle, avec Internet nos peurs contemporaines se matérialisent des deux côtés de l’écran. Une lecture utile pour nos ados hyper-connectés. Avec « L’Épée » elle aborde le genre heroic-fantasy de front. Elle en respecte les codes, tout en dessinant un récit personnel, engagé et jubilatoire.
« L’Épée », c’est d’abord un très beau petit livre, superbement édité, de 180 pages. On y découvre un récit porté par un dessin souple et des couleurs franches, parfois étincelantes. Si l’autrice n’oublie aucuns poncifs du genre, ni démons ou armes magiques ni magie blanche ou noire, elle aborde dans son récit de manière légère des thèmes plus sérieux.
Ainsi, les femmes y occupent une place de premier plan : de la reine à son héritière, les garçons sont relégués au second plan. Ce récit féminin et féministe interpelle aussi lectrices et lecteurs de tous les âges sur le rôle des mythes fondateurs, la gouvernance d’un pays ou la solitude engendré par le pouvoir. « L’Épée » est une épopée fantasy originale, à destination d’un vaste lectorat : de 12 ans à au moins 77 ans.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« L’Épée » par Anabel Colazo
Éditions Ça et là (20,00 €) – EAN :  978-2-36990-304-8
Parution 3 juin 2022