Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...De saison en saison, une jeune fille s’affirme jusqu’à son seizième printemps…
Avec un grand format à l’italienne, sous des dehors classiques, certains diraient vintage, « Seizième printemps » est une bande dessinée jeunesse moderne, ambitieuse et émouvante qui aborde des thèmes profonds. Laissez vous séduire par cette BD aquarellée, délicate, qui aborde le passage difficile, résilient, d’une fillette à l’âge adulte, au rythme des saisons.
Yeowoo est une petite fille de cinq ans, vive et enjouée. Cette enfance insouciante s’arrête, du jour au lendemain, quand ses parents divorcent. Sa mère disparait de sa vie et son père, débordé par ses activités professionnelles, ne peut s’occuper d’elle au quotidien. Il l’emmène donc un beau matin pour un petit village de montagne où résident son père et sa sÅ“ur. Yeowoo est laissée auprès de ces quasi inconnus pour quelques semaines. Mais son père ayant refait sa vie ne viendra jamais la rechercher ; elle grandit donc, jusqu’à l’âge de 16 ans, entre un vieil homme fatigué et une vieille fille égoïste. Elle ne leur cache pas son ressentiment et sa colère contre ceux qui l’ont abandonnée.
La petite fille grandit ainsi dans un village en dehors de la modernité, dans une maison traditionnelle, guettant les venues de plus en plus espacées de son père et de sa nouvelle compagne, et désespérant de revoir sa mère. Elle ne reçoit pas d’affection de sa tante et de son grand-père qui peinent à la comprendre.
Désespérée, solitaire, la petite renarde voit sa vie changer de manière complétement inattendue quand elle essaye maladroitement de fuguer. À l’arrêt de bus où elle attend en pleurant la venue d’un véhicule qui l’emmènerait revoir sa mère, elle croise Paulette : une poule qui vient de s’installer dans la maison voisine de celle de sa famille.
Pendant plusieurs années, se développe entre Paulette et Yeowoo une amitié de plus en plus forte. Ce sont deux solitudes qui se complètent et qui s’épaulent. Paulette a été rejetée par sa communauté, car stérile elle ne pouvait pas avoir d’enfants. Elle a donc bâti patiemment un nouveau nid : sa maison avec une grande serre où poussent toute l’année de belles plantes aux fruits rouges, fruits qu’affectionne la tendre Yeowoo. Saison après saison, Yeowoo grandit, s’épanouit, acceptant le fait d’avoir été abandonnée par ses parents. Sa résilience est forte et à son seizième printemps, elle peut quitter libre, ce village honni qui l’a vu grandir.
« Seizième Printemps » est un album d’une force troublante, une vraie et belle découverte qui marque de son empreinte tout lecteur, des plus jeunes, dès dix ans, aux plus âgés. Ce récit d’initiation au long cours qui a son rythme propre, d’une saison à l’autre, en sautant parfois plusieurs années, est portée par des thématiques fortes, souvent difficiles comme le drame du divorce pour un enfant, l’acceptation de la différence, le besoin de dépasser les préjugés, la rébellion infantile contre les injustices et surtout, surtout le besoin d’amour, au moins de tendresse, pour pouvoir grandir en harmonie.
Autrice coréenne installée en France (elle réside à Angoulême), Yunbo décrit dans ce conte animalier les tourments d’une jeune fille de ses cinq ans à ses 16 ans.
Son dessin anthropomorphique, Yeowwo est une petite renarde et son amie Paulette une poule qui ne pond pas, est mis en valeur par des aquarelles aux perspectives travaillées et une gamme pastel d’une grande douceur. De quoi décrire avec minutie et sensibilité l’évolution des sentiments de ses personnages, les moments de désarroi d’adultes un peu perdus et un besoin commun d’amour et de liberté.
Album poétique, bande dessinée jeunesse profonde, cruelle, mais pleine d’espoir, « Seizième Printemps » est la belle révélation de ce printemps en bande dessinée jeunesse : une ode délicate à l’épanouissement personnel, à la résilience à tous les traumatismes familiaux.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Seizième Printemps » par Yunbo
Éditions Delcourt (26,50 €) – EAN : 978-2-4130-2827-7
Parution 13 avril 2022