Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Samouraï du soleil et concubine de la lune !
Le samouraï est une figure emblématique du japon médiéval. Un guerrier noble qui fait corps avec son sabre. Pourtant, il existe un samouraï pouilleux, taciturne, dépressif et fauché, avec pour seule arme un Bokken : réplique de katana en bois servant à l’entraînement. Mais quelle malédiction a touché cet homme pour tomber aussi bas ? Et surtout, pourquoi cette riche et belle jeune femme l’a-t-elle demandé en mariage ?
Konosuke est sans le sou, il n’a même plus assez de riz pour la semaine. Il a bien cherché du travail, mais mal rasé et mal peigné, il n’arrive pas à convaincre. Quand, en plus, on découvre qu’il s’est fait virer de son ancien travail par peur des objets tranchants, cela passe mal pour un guerrier. Qui voudrait de lui ? Ne serait-ce que pour simplement monter la garde… S’il en est arrivé là , ce n’est pas par peur des sabres à l’acier tranchant, mais bien parce qu’une malédiction fait qu’aucun corps en métal ne peut l’approcher sans se tordre. Il est donc impossible de le tuer et il lui est également impossible de manier une arme digne de ce nom. Même pour la vie quotidienne, c’est un calvaire. Se raser devient impossible : il lui faut utiliser une pierre aiguisée comme à la préhistoire. Pourtant, une jeune femme, à la fois riche et très belle, lui a fait une proposition de mariage en échange d’une petite somme d’argent. Ce qu’il n’a point refusé, vu la situation précaire dans lequel il se trouve… Malgré son air antipathique, il n’est pas dupe : cela doit cacher quelque chose, surtout qu’elle en sait beaucoup trop sur lui. Elle est notamment au courant qu’il repousse le métal : ce secret inavouable qu’elle n’aurait pas dû connaître.
Mais qui est cette femme qui s’entiche d’un raté comme Konosuke et quels secrets cache cette beauté ensorcelante ? Telles sont les questions que le lecteur se pose à la lecture de « La Danse du soleil et de la lune », parmi tant d’autres. Bien sûr, le fait que le corps de Konosuke agisse comme un aimant repoussant le métal est au centre de toute cette aventure où s’imbriquent, tout autour, de nombreux mystères. L’histoire, plutôt simple au départ, glisse rapidement vers le surnaturel. Les événements vont s’enchaîner de plus en plus vite et l’on va être de plus en plus perdu au fil des pages. Mais c’est clairement fait exprès pour nous laisser le temps d’assimiler tous ces événements mystérieux qui se déroulent au fil du récit.
En plus de tenir en haleine son lectorat avec cette intrigue, le dessin de Daruma Matsuura est également envoûtant. Nous l’avons découverte en France avec « Kasane, la voleuse de visage » : une histoire sordide et surnaturelle déjà édifiée chez Ki-oon. Cette série s’est terminée en apothéose au quatorzième volume. Pour le moment, « La Danse du soleil et de la lune » n’en est qu’a son troisième tome au Japon. Avec un trait semi-réaliste alternant avec des attitudes semi-humoristiques, Daruma arrive à rendre chaque situation tragique un peu plus légère. La maîtrise de sa plume aide indéniablement à donner vie à chaque planche qui sort de son atelier. Elle arrive à rendre la force de toutes les émotions : qu’elles soient positives et négatives avec quelques traits bien dosés. Et si on peut que faire l’éloge de son travail en noir et blanc, il en est indéniablement de même pour la mise en couleurs de la couverture. Véritable écrin pour le manga, celle-ci devrait attirer de nombreux lecteurs par son côté envoûtant et mystérieux où les couleurs chaudes sont en dualité avec les couleurs froides. Ce visage en gros plan de trois quarts de Tsuki, la jeune épouse de Konosuke, est à la fois resplendissant et mélancolique : tandis que l’infortuné samouraï sombre dans des eaux glacées, telle une tache sur ce beau visage, il est à l’image de la série.
Amateurs de fantastique dans le Japon médiéval, « La Danse du soleil et de la lune » est un titre incontournable à suivre dorénavant. C’est une histoire mystérieuse, clairement construite sur la durée. Les secrets entourant ces manifestations surnaturelles ne seront clairement dévoilés qu’au compte-goutte. Cela promet d’avoir une série palpitante aux nombreux rebondissements.
Gwenaël JACQUET
« La Danse du soleil et de la lune » T1 par Daruma Matsuura
Éditions Ki-oon (7,90 €) – EAN : 9791032710951
Parution 3 février 2022